Le film-documentaire de Yann Arthus-Bertrand a bénéficié d’une visibilité hors-norme en 2009 : sortie cinéma le 5 juin et diffusion Internet en parallèle (décliné en plusieurs langues), appuyées par une diffusion TV (avec un record pour France 2 en prime-time à la clé : 8.3 millions de téléspectateurs). Une propagande de masse, relayée par l’ensemble des médias, dont le bon sens réclame(rait) qu’on s’en félicite. Paradoxalement, on pourra juger que l’urgence planétaire et la dégradation de l’environnement neutralisent tout jugement critique. Mais l’OPA est contestable ; d’abord, il est légitime de se demander s’il s’agit réellement ici de cinéma et d’évaluer l’œuvre ; ensuite et malgré l’universalité de son sujet, Home n’est pas un film "transversal", c’est même un véritable plaidoyer politique et partisan.
Au-delà de toute considération concrète, intellectuelle ou technique, envisagé simplement comme une immersion dans un monde oublié ou méprisé, Home est une splendeur de chaque instant, d’une beauté absolue engendrant la transe. Cet aspect est indiscutable et les cent minutes du film sont un pur délice, pour les sens comme pour l’âme. Mais passée la première heure, il n’apporte plus d’arguments ou d’axes forts, se contentant de gonfler son propos de petits faits, de symboles plus ou moins dérisoires et d’anecdotes éparses.
Home a néanmoins le mérite d’être emprunt de bonne volonté (« il est trop tard pour être pessimiste ») ; le film se pose comme une mise au point, une sorte de synthèse s’espérant décisive (« ce que nous savons, il faut le croire »). Illustration noble et généreuse, Home met en avant des initiatives fortes et pleines de potentiel, mais Yann Arthus-Bertrand enchaîne les erreurs de diagnostics géopolitique (et se leurre avec un vocabulaire parfois témoin de réminiscences gauchistes – égalitarisme à la sauvette, tirade sur « l’égoïsme des Nations »). La candeur de Home donne des motifs à des plus forts et plus malins, invoqués indirectement alors qu’ils trahiront sa cause (et surtout le font déjà).
Certes, faire du spectateur un citoyen du Monde est une louable perspective. Mais à quel prix, avec quelles méthodes ou mesures ? La réponse à apporter à la crise de l’environnement doit-elle prendre forme sous l’impulsion d’une collectivité des peuples fraternelle ou d’un gouvernement absolutiste ?
Sans le savoir (à moins qu’il s’agisse d’une complaisance coupable), Arthus-Bertrand synthétise les leitmotiv des écologistes occidentaux actuels, en livre les contradictions et en dévoile l’imposture. En faisant de l’écologie le cheval de Troie du Mondialisme, le superviseur de Home démontre comme il est logique que les libéraux-libertaires (ambassadeurs directs, réformés et new look des néo-libéraux) se retrouvent au même endroit. Le progressisme environnemental et sociétal se croisent ainsi, pour être englobé dans des manifestes et des slogans apaisants mais illusoires et surtout, factices.
Attaché de presse du capitalisme vert, Yann Arthus-Bertrand est aussi celui de la Globalisation – il en fait le lit de toutes façons. Espérons au moins qu’il s’agisse bien d’une Globalisation »de gauche » : idéalement, le capitalisme revu et corrigé par les écolo-progressistes consiste à allier les visées utopiques à la réalité et au rouleau-compresseur financier. C’est une façon de faire aboutir un projet prioritaire sans être constamment refoulé. Les dangers sont multiples : en particulier, il faut se méfier d’un excès de concessions qui pourrait même conduire à dénaturer l’ambition des écologistes intègres ; surtout, parce qu’elle fait spontanément consensus, l’écologie peut être le moyen d’écraser toute action politique et peut maquiller l’absence de progrès social ou le mépris de thématiques plus immédiates et essentielles, mais moins "bankable" et accessibles. Enfin, l’écologie (administrée par les écolo-progressistes, par opposition notamment à la gauche alternative ou aux conservateurs traditionalistes) peut être le prétexte à une standardisation des modes de vie, une façon de fouler les identités et les cultures : d’ailleurs, s’il travaillait à donner sens à ce totalitarisme moral et irrationnel, Yann Arthus-Bertrand ne s’y prendrait pas mieux.
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