Le script d'Hôtel du Nord est un des plus aguicheurs des films de Marcel Carné, le résultat est plus mitigé. Même s'il met en évidence une certaine superficialité persistante dans le cinéma de Carné, Hôtel du Nord demeure très bien écrit et percutant. Le ton est dramatique, lourd, gouailleur également. Et surtout, ce cinquième opus s'avère visuellement plus raffiné que les précédents ; techniquement, Carné passe une étape. L'absence de Prévert explique peut-être en bonne partie l'infériorité d'Hôtel du Nord par rapport à ses camarades ; les dialogues d'Henri Jeanson ne manquent pas de génie pourtant, sûrement de souplesse et de finesse.


Le degré de théâtralité hiératique atteint par certaines séquences est dommageable. Ce qui passe dans les comédies de Carné (tel Drôle de drame) a ici un effet plus ambigu. Les séquences avec le couple et en particulier leur première intervention sonnent creux. Sur le papier ou autrement formulées, leurs déclamations seraient sans doute valides ; là, c'est affecté de façon trop violemment inauthentique. C'est pas que l'excès d'émotion pose problème : c'est bien la fausseté ; et la passion serait possible, mais là on l'étouffe. Les confrontations en prison seront plus intenses et plus 'vraies' ; au fur et à mesure, le « Quai des brumes moral » (exigé du moins) arrive à leurrer une spontanéité des personnages.


Malheureusement le fil narratif est touffu en vain, les intrigues éparpillées ; l'écriture est en somme aussi démissionnaire que le climat de Quai des brumes, mais comme Gabin et Morgan dans celui-là, il faut aller au bout. Le bout c'est un peu le problème, tout est trop volatile pour qu'on en voie un. Le spectacle manque donc d'épine dorsale même si ça fonctionne ; à cette image, Arletty est bien dans sa peau d'emprunt mais plutôt saoulante. Comme tous les autres œuvres de Carné tournées à la fin des années 1930, celle-ci contient quelques phrases cultes ; ici Arletty envoie le fameux « atmosphère, est-ce que j'ai une gueule d'atmosphère ? ». Cette petite saillie est presque un slogan, en tout cas un symbole, de ce cinéma populaire originel (le parlant est encore neuf) avec trognes et diatribes pittoresques.


https://zogarok.wordpress.com/2015/05/08/hotel-du-nord/

Créée

le 1 mai 2015

Critique lue 840 fois

8 j'aime

Zogarok

Écrit par

Critique lue 840 fois

8

D'autres avis sur Hôtel du Nord

Hôtel du Nord
Ugly
8

Apogée du drame populiste

C'est probablement la quintessence du populisme français cinématographique. Jean Aurenche et Henri Jeanson cisèlent des dialogues inoubliables, dont on ne peut pas ignorer la fameuse réplique...

Par

le 17 nov. 2017

33 j'aime

23

Hôtel du Nord
SanFelice
8

Re-née

Ah ! le charme des films du réalisme poétique français des années 30 ! Une photographie si particulière, d'incroyables décors, une ambiance... On se croirait plongés dans une photo de Doisneau. Bien...

le 4 juin 2012

29 j'aime

Hôtel du Nord
Pravda
9

Critique de Hôtel du Nord par Pravda

Je trouve toujours particulièrement difficile de donner son avis sur un film culte. Etant d'accord sur sa qualité, tout ce qu'il y a à en dire (jeu d'acteur parfait, notamment Louis Jouvet et Arletty...

le 26 janv. 2013

19 j'aime

2

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2