Ah ! le charme des films du réalisme poétique français des années 30 ! Une photographie si particulière, d'incroyables décors, une ambiance... On se croirait plongés dans une photo de Doisneau.
Bien entendu, quand on parle de "Réalisme" poétique, l'aspect réaliste peut nous faire sourire de nos jours. Sauf si on comprend que, par "réalisme", il faut entendre que les scénarios s'intéressent à des personnages populaires. Finis les grands héros, nous sommes plongés dans une population quotidienne (et souvent urbaine). Des ouvriers, des chômeurs, des soldats, les films sont habités de toute une populace gouaillante. Ce qui va faire le bonheur des dialoguistes et de certains interprètes comme Arletty.
Les interprètes constituent d'ailleurs la première qualité du film. Le scénario a largement changé le roman qu'il est censé adapter : des personnages secondaires (une fille de joie et son mac) sont devenus presque les protagonistes du film, pour pouvoir développer les rôles d'Arletty et de Louis Jouvet. Celui-ci est d'ailleurs formidable : il faut voir son regard quand il dit adieu à Renée...
A l'inverse, les personnages principaux du roman sont presque secondaires dans le film : Pierre et Renée, les amants suicidaires du début. Il faut dire que leurs aventures ne sont pas très développées et les multiples revirements de Renée sont peu crédibles. Magnifiquement bien interprétés eux aussi, ils constituent quand même un des points faibles du film.
Les autres personnages font partie de cette foule qui peuple les films français de cette époque, et qui, pour être secondaires, n'en sont pas moins indispensables. Ce sont d'ailleurs souvent ces personnages-là qui ont les dialogues les plus réussis, les plus vivants, les plus drôles. Des petites frappes, un flic, le patron de l'hôtel ou un "vendeur de sang", tous donnent un charme inimitable à ce film.
La mise en scène est très belle, les images sont magnifiques et on ne peut que louer les extraordinaires décors d'Alexandre Trauner, le maître absolu du genre. Seul le rythme laisse un peu à désirer, le film souffrant d'un petit ventre mou. On n'est pas encore dans les chefs d'œuvres du genre, qui viendront juste après (Le Jour se lève et surtout Les Enfants du Paradis).