À sa sortie, j’ai été émerveillé par Interstellar. J’avoue un faible pour le cinéma de Christopher Nolan. J’excepte Le Prestige, dont le héros est un prestidigitateur ; or, la résolution de l’intrigue, présentée tout au long du film comme une technique de passe-passe, recourt à une (décevante) machine fantastique.
J’ai été subjugué par l’éclat des images, la précision du jeu des acteurs, la puissance de la BO, la sublime beauté de la course dans les champs de maïs à la poursuite de l’antique drone, puis, sans transition, par l’irruption de la tempête de sable. La Terre se mourait et j’assistais, effaré, aux efforts cachés d’une poignée de scientifiques rebelles pour sauver… ce qui pouvait l’être encore. Plan A ou plan B. Mais, déjà Joseph Cooper (Matthew McConaughey) quittait les siens pour s’envoler loin là-bas… J’ai aimé les exo-planètes et leurs lots de surprises. J’ai aimé la longue fuite du temps… et pleuré face à l'infinie solitude des astronautes. J’ai aimé les amours contrariées liant les différentes générations de Brand et de Cooper. J’ai aimé la vision de notre vieille humanité trouvant, dans un dernier sursaut, l’effort de s’élancer à la conquête de l’espace. Puis, j’ai réfléchi et revu Interstellar. Le scénario m’est alors apparu comme confus. Sa haute ambition était assumée, ne se comparant qu’à celle de 2001 l’odyssée de l’espace. Nolan se pose comme le nouveau Kubrick, tout en prenant le contrepied de nombre de ses idées. Dans son immense fresque elliptique, le vieux maître présentait une humanité triomphante, sûre de ses forces et de son radieux destin. Le temps a passé, moins d’un demi-siècle plus tard, l’espoir progressiste s’est effondré, l’homme a détruit sa propre planète et obéré toutes chances d’un avenir meilleur. Ce film ne manque pas de qualités. La vision d’une humanité déclinante et doutant de ses forces est passionnante. Le jeu des paradoxes temporels est fertile en rebondissements. Le scénario joue habilement de l’amour familial ou conjugal comme moteur de ses personnages, mais aussi de l’Histoire. Les Cooper et les Brand, pères et filles trouvent dans l’amour plus ou moins partagé les ressources de leur action. C’est habile, touchant, mais fragile. Plus laborieux encore est le recours à des boucles temporelles et aux très discrets êtres du Bulk. Si l’on admet que le plan B ; l’envoi d’un colon destiné à ensemencer une planète ; est voué, par sa seule difficulté, à l’échec. Alors, la survie de l’humanité passe par sa victoire sur la gravité, indispensable pour déployer le plan A : l’évacuation par de titanesques vaisseaux spatiaux. Or, le vieux professeur John Brand (Michael Caine) a échoué. Seule une boucle temporelle permettra à Joseph de transmettre à sa fille Murphy Cooper (Jessica Chastain) les informations quantiques, tirées par TARS du trou noir. En se sacrifiant pour récupérer ces données, le brave robot efface les criminels dessins de l’inoubliable HAL de Kubrick.
Ces dernières années, le cinéma de science-fiction a abusé de la boucle temporelle. Si elle me semble acceptable dans le cadre d’un thriller de science fiction ou d’une comédie fantastique, son intervention dans un space opéra présenté comme « sérieux » ; Christopher Nolan nous accable de considérations scientifiques sur l’espace temps, les trous de vers et l’hypercube quadridimensionnel ; fragilise le scénario. Nolan, qui se souvient des critiques subies par Le Prestige, s’efforce d’apporter une explication rationnelle à sa boucle. Il ne peut se satisfaire de la découverte fortuite du savant fou (type Retour vers le futur) ou d’une intervention divine. La boucle est l’œuvre du tesseract, lui même créé par les êtres du bulk, identifiés par les Cooper comme des humains d’un futur éloigné. Murphy ne sauvera l’humanité actuelle que par l’intervention miraculeuse de surhommes, nos (très) lointains descendants. Nous évoluons en plein transhumanisme.
2019