Je parlais récemment de Le Trou, référence parmi les films d’évasion. En voici un, plus ancien, mais tout aussi marquant et prenant, s’intéressant cette fois, entre autres, à la question de la réhabilitation dans la société, et s’apparente davantage au genre du film noir.


Attention, l’article qui suit va devoir mentionner des éléments-clé de l’intrigue.


Le film s’intéresse à Paul Allen, de retour de la guerre en 1919. Son travail à l’usine, quitté à cause de la guerre, l’attend pour son retour, mais il n’en veut plus. Il veut quelque chose qu’il juge comme étant constructif, il veut construire des ponts. Confronté aux refus, puis à la misère approchante, il est malgré lui embarqué dans un larcin, et envoyé au bagne, bien qu’il soit manifestement innocent. Face au calvaire qu’il y endure avec les autres détenus, il décide de s’évader, et y parvient. Il finit par être embauché sous un faux nom dans une société construisant des ponts, et gravit les échelons, mais son passé est susceptible de le rattraper à tout moment.


Je suis un évadé est un film qui ne se contente pas d’exposer le simple cas d’un homme accusé à tort, emprisonné, et qui souhaite s’évader, mais bien de travailler sur une échelle plus large. Certes, qu’il soit en prison ou en dehors, Paul est entravé. Rejeté par la société pour un crime dont il n’est même pas coupable, il vit avec une véritable épée de Damoclès au-dessus de la tête.


Mais le film va plus loin dans son discours, en poussant le système judiciaire dans ses limites, Mervyn LeRoy fait le procès non pas d’un homme, mais du procès-même qui le juge. La tournure des événements nous fait espérer un dénouement heureux, mais on finit par comprendre que c’est impossible. Face à une justice scélérate, notre protagoniste ne peut rien faire, et doit rester un prisonnier, car « les hommes commettant des crimes sont des hommes durs» , et que « leur punition doit être sévère » , et que Paul Allen est un de ces « hommes durs » .


Toute l’ironie de la situation se déploie dans le plaidoyer du représentant du système carcéral, vers la fin du film. Alors qu’Allen vient d’être inculpé une nouvelle fois, au faîte de sa réussite, la prison obtient de nouveau gain de cause. En effet, « le but de la prison n’est pas que de punir les crimes, mais de les décourager. » Derrière cette phrase pleine de bonnes intentions, se cache tout l’échec de ce système carcéral brutal et impitoyable, ne faisant aucune distinction entre les détenus, en réduisant leur identité à de simples nombres.


En effet, Paul Allen, homme innocent et intègre, est devenu l’ombre de ce qu’il était. Rêvant de construire des ponts, il doit en détruire un pour échapper à ses poursuivants. Accusé à tort de vol, il doit avouer à la femme qu’il aime, en toute fin de film, qu’il doit voler pour survivre, en lançant un dernier « I steal ! » mémorable. Guidé par la volonté de réussir, son idéal est détruit par ceux-même qui œuvrent à l’équilibre de la société, et ce système, clamant haut et fort sa volonté de décourager le crime, obtient un résultat exactement inverse.


Film de l’ère Pré-Code, cru et moderne, Je suis un évadé expose brillamment la descente aux enfers d’un homme vaincu par un système impitoyable, ayant préféré employer la manière forte et des méthodes archaïques au lieu d’accorder le bénéfice du doute à celui qui était devenu « un citoyen respecté de tous » . Fort, prenant et révoltant, il s’agit sans conteste d’une référence du septième art.


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le 18 août 2015

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