L’amour, répété dans le titre, est en soi un sujet qui n’a jamais cessé d’irriguer la fiction : parce qu’il en est l’origine, et parce qu’il s’écrit par des phrases que nous nous acharnons à ne pas comprendre. Cette complexité d’un langage qui nous charme autant qu’il nous déconcerte a nourri dans un premier temps la parade du mythe : puisque nous sentons à quel point l’amour peut combler, définissons son idéal à travers les textes fondateurs qui, à chaque fois, se briseront sur les contraintes du réel : Tristan & Yseult, Roméo et Juliette, pour ne parler que d’eux.
Mais lorsqu’on décide d’appréhender la complexité inhérente à l’amour et son influence structurante sur notre histoire intime, la science-fiction est en réalité le recours le plus légitime. Tenter de maitriser, un temps durant, l’extraordinaire écheveau de notre mémoire et la mystérieuse influence de la grammaire amoureuse. On l’a vu dans La Jetée, Solaris, dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind, voire dans Her. Chaque fois, l’effet est le même : on aura approché d’un peu plus près, sans y accéder, ce qui fait notre grandeur, et ce qui fait de nous des ignorants. Avec euphorie et mélancolie.
Le film de Resnais est une réflexion sur la mémoire associée au principe esthétique du montage. L’argument permettant le voyage dans le temps occasionne un kaléidoscope de visions qui commence par déconcerter, et finit par tisser une toile complexe au sein de laquelle sourd la vérité profonde d’un être. L’accès à la mémoire dans sa totalité révèle un élément fondamental : nous n’oublions pas, nous trions. Nous n’effaçons pas, nous rangeons. L’alternance très fine de souvenirs heureux, amniotiques comme celui de ce bain originel, avec les révélations progressives d’un drame et de la présence de la mort conduit le fil d’images dont la succession gagne progressivement en cohérence.
Film a priori froid et distant, parce qu’il recourt à la machine (un cocon organique qui n’est pas sans rappeler les décors du Stalker de Tarkovski) Je t’aime, je t’aime craque le vernis de l’expérience scientifique pour devenir une expérience sensitive. Claude Rich, très convaincant, donne à voir sa neurasthénie, les différentes poses de son existence qui se déroule comme un jeu de rôle dont lui-même n’est désormais plus dupe.
Dans cet archipel d’images fondé sur la récurrence et la révélation inédite, l’émotion est toujours maintenue à distance, et paradoxalement vivace : la dissection de notre part de mystère a ceci de bouleversant qu’elle met à plat nos contradictions : le savoir rend lucide notre impuissance face à nous-même.
Merci à Adam_Kesher