Entre champions invincibles, on a souvent la dent dure.
Nos cibles favorites, qui sont aussi les plus faciles, sont nos collègues qui souffrent.
Certains, même, meurent. Ce sont ceux qui, quand ils reçoivent une cartouche, douillent.


Tout à notre auto-satisfaction de grand benêts hyper-testostéronés, nous passons à côté de l'évidence que n'importe quel enfant pointerait d'un doigt assuré: ce sont pourtant ceux qui acceptent la douleur qui sauvent les autres. Ces christs compatissants permettent aux autres membres de la tribu des erodfilms de vivre plus intensément dans l’œil de nos adorateurs. Si nous devions invariablement en venir à vaincre sans péril, comment pourrait-on continuer à attirer les foules ?
La blessure ou la mort sont seules garantes de l'intensité de nos luttes.


Au lieu de nous moquer bêtement, nous devrions donc naturellement bénir ceux d'entre nous qui acceptent la blessure pour ce qu'elle est: la rupture d'une artère, la destruction d'un organe, le détachement progressif d'une parcelle de vie. La souffrance ajoutée au dévouement.


Si je devais arrêter de ricaner, je serais bien obligé d'admettre que mon rôle de boss ultime me satisfait rarement. La légère déprime pointe en permanence. Défaire des hordes de victimes expiatoires à mains nues en vient à me crisper, le bruit de l'os brisé me chiffonne. Découper une armée de futurs cadavres aux traits ivres de colère ne me procure plus que le plaisir fugace de l'instant.
Démolir les foules finit par lasser. Massacrer industriellement confine à l'ennui.


Et avec ça, je ne parle pas de nos motifs de courroux: les avatars que nous autres, érodfilms, sommes contraints d'endosser.
On vient de me demander de reprendre les traits de John Wick. Autant ma première apparition sous cette apparence m'avait amusé. Venger la mort de son chien justifiait bien des écarts sanguinolents. Cette fois, je dois réinvestir Keanu sans vraiment comprendre pourquoi je dois dégommer autant de hordes hostiles.
(Entendons-nous bien: Wick ne fait pas partie des héros qui souffrent. Il fait mine d'accuser un mauvais coup, mais un bras qui pend ne l'a jamais empêché de rétamer ses adversaires.)


J'ai beau m'appliquer, j'ai de plus en plus de mal à prêter une attention même furtive à cette succession de visages déformés par une haine factice, dévastés par le trépas qui vient. Je comprends de moins en moins leur empressement à se confronter si brutalement à l'inéducable.


Il parait que cette pantomime éternelle satisfait des foules avides se simulacres sanglants.
Mon seul réconfort vient de l'idée qu'une telle jouissance ne saurait être éternelle.
Les amateurs de jeux du cirque finiront bien par se lasser.
Et nous autres les erodfilms, par se reposer.
Non ?


(La légende des erodfilms, côté victimes)

guyness

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