Marqué par la collaboration de la sulfureuse Hélène Zimmer (ayant fait ses premiers pas dans le très explicite Q dans lequel elle a relation sexuelle non simulée avec une femme), Journal d'une femme de chambre, très porté sur la chose, est un mélange de film d'époque, de feuilleton télé (genre telenovela) et de film érotique, les corps dénudés en moins. Benoit Jacquot, l'un des grands réalisateurs de sa génération, effectue ici une légère déviation dans son itinéraire ordinaire. Après nous avoir habitué à un certain classicisme empreint de littérature, il laisse le sous-genre du feuilleton influencer grandement l'esthétique du Journal, adaptation du roman de Mirbeau – écrivain, dramaturge mais surtout journaliste.
Si les portraits impressionnistes des personnages, le travail sur le clair-obscur aux échos flamands, les analepses nous révélant le passé de Célestine ou les monologues intérieurs relèvent d'une rigueur formelle proche d'un certain académisme, d'autres scènes sont, elles, plus déroutantes par leur légèreté. Nous pensons par exemple aux analogies suggestives qu'il emploie pour réunir deux personnages, en les filmant chacun dans des scènes aux connotations plutôt sexuelles (quoique symboliquement, l'association étant plutôt d'ordre inconsciente) puis en les reliant syntaxiquement (la scène où Joseph [Vincent Lindon, dans une très bonne interprétation d'une grande variété] se lave le pied qui, nu au niveau de l'entre-jambe, est tendu et rose pendant que Célestine [Léa Seydoux au jeu unique mais réussi] le regarde avec concupiscence depuis sa fenêtre, cousant avec sa toile disposée aussi entre ses jambes, est clairement sexuelle).
De même, le recours fréquent aux gros plans sur les personnages surprend dans sa construction et rappelle, par sa candeur et sa simplicité, l'esthétique du feuilleton télé. De plus, si les types ne suffisaient pas (la femme de chambre, inévitablement «détroussée» par son maître, ou le jardinier, transpirant sous le soleil, le manche de l'outil érigé avec vigueur en l'air), les dialogues entre ceux-ci sont infectés par les pulsions du corps et le désir irrépressible de copuler animalement. Entre désir et frustration donc, ils taisent ou font jaillir le feu qui brûle à l'intérieur et à la dimension sociale du dominé/dominant de la relation patron/employé s'approfondit d'un combat dépassant la sphère des idées pour rejoindre celle du corps. En parfaite provocatrice et provocante, Léa Seydoux est l'incarnation de ce double postulat, à la fois rebelle refusant la domination (qu'elle soit professionnelle ou sexuelle) de la figure autoritaire du maître ou de la maîtresse de maison, pendant qu'elle est provocante à souhait à travers ses regards abrasifs et ses tenues sensuelles, devenant l'objet du désir de tous ceux qu'elle rencontre.
Amalgame baroque de classicisme et littérature rose, le Journal de B. Jacquot nous semble assez incohérent dans sa double construction et semble ne pas s'être décidé sur l'objet choisi. Ce grand écart entre grande littérature et littérature populaire, d'où pointent au milieu des marques de lutte sociale nous égare un peu, qui ne savons où situer notre regard tant Jacquot cherche à ratisser large. Nous craignons donc que la ménagère de moins de 50 ans tout comme le cinéphile épris de cinéma d'auteur ne passe entre les dents de son râteau.