Le Spleen de Ryūichi HIROKI, l’ennui du spectateur

Révélé au Festival International du Film de Toronto à la fin de l’année 2014 et projeté en grande pompe dans les salles japonaises début 2015 le dernier film en date de Ryūichi HIROKIKabukichō Love Hotel – était attendu avec fébrilité tant par les fans que par les détracteurs du réalisateur. Autant encensés que décriés, les films de HIROKI naviguent constamment entre deux eaux et peinent à proposer un véritable consensus au sein des communautés de spectateurs.
Généralement portés par une réalisation fauchée des plus exemplaires – HIROKI aurait de nombreuses leçons à donner à ceux qui pensent que l’argent et le matériel font la qualité d’un film – les longs-métrages du réalisateur peinent malheureusement, de façon constante, à tenir leurs promesses. On pourrait considérer la filmographie de Ryūichi HIROKI comme un immense panel de films avortés construits sur des synopsis dignes de chef-d’œuvres. On était donc en mesure de se demander si ce Kabukichō Love Hotel allait être le film qui saurait prouver toute l’étendue du talent du réalisateur.
Le synopsis du film est d’ailleurs on-ne-peut-plus alléchant : le temps d’une journée, un love-hotel devient le théâtre des rêves et des désirs de cinq couples qui s’y croisent, à la recherche d’une vie meilleure. Avec un synopsis d’une seule phrase, Kabukichō Love Hotel nous intrigue et nous invite dans le monde doux-amer d’un Japon contemporain abandonné à la fugacité de l’amour moderne et aux rêves d’une génération qui erre dans l’immense mélancolie de la ville. En cristallisant ces éléments, Ryūichi HIROKI nous promet un film choral à la fois délicat et déchirant, point d’orgue d’un cinéma romantique et mélancolique cher à cette nouvelle génération de réalisateurs japonais, s’attachant à dépeindre le spleen post-moderne de notre époque.


Malheureusement, la réalité est toute autre. Une fois de plus, le film de Ryūichi HIROKI peine à se hisser à la hauteur de ses ambitions. Il en ressort que Kabukichō Love Hotel n’est rien de plus qu’un film cruellement moyen et très vite oublié. L’histoire est bonne, mais mal racontée. Il est décidément difficile de définir ce qu’il manque au cinéma de HIROKI, mais une fois de plus la sauce ne prend pas. Un véritable gâchis que l’on aurait aimé éviter.
Les différents personnages qui composent le film paraissent incroyablement clichés. S’il est indéniable qu’ils représentent une certaine réalité du Japon urbain d’aujourd’hui, le trait est grossi jusqu’à ce que ces personnages ne ressemblent plus à rien d’autre qu’à des personnages de film, imitant tant bien que mal la réalité.
Déjà, il fallait s’y attendre, HIROKI aborde dans son film la question de la catastrophe de Fukushima de 2011, mais malheureusement d’une façon un peu poussive. On sait que le réalisateur est originaire de la région et qu’il se sert de ses films pour faire le deuil de sa ville natale, ravagée lors du tsunami ; mais cela n’interdit pas de traiter le sujet de façon subtile, comme il l’a par exemple fait dans River.
On retrouve donc dans Kabukichō Love Hotel les histoires de plusieurs couples, emmenées par une unité de temps d’une journée. Bien évidemment, les couples qui arpentent les couloirs de ce love-hotel ne sont pas des couples classiques, et Ryūichi HIROKI se sert de ces histoires pour dépeindre les relations amoureuses et sexuelles du Japon d’aujourd’hui. Mais au-delà des relations adultères, mensongères ou impossibles, Kabukichō Love Hotel nous présente un panel plus large et n’hésite pas à englober plusieurs questions de société ; la prescription criminelle, le rabattage des jeunes fugueuses par les yakuzas, l’adult video et le quotidien des immigrés coréens au Japon sont par exemple montrés à travers le film. Cependant, ces faits sont simplement présentés au spectateur et il lui incombe de se faire un avis sur la question.
De toute évidence, Kabukichō Love Hotel est écrit pour être touchant et les personnages pour être attachants, mais ça ne prend pas. Ces histoires mélancoliques, qui auraient ému entre les mains d’un Kar-Wai WONG ou d’un Shunji IWAI, s’avèrent être absolument sans saveur quand elles se trouvent entre les mains de Ryūichi HIROKI.
Même si le repentir du yakuza qui décide de changer de vie et d’aider une jeune fugueuse ainsi que le couple vivant caché dans l’attente de la prescription après quinze ans tendent à aiguiller notre choix, Ryūichi HIROKI se contente de nous présenter les situations pour mieux contextualiser le Japon contemporain. Ainsi, quand le personnage de Toru, interprété par Shōta SOMETANI, découvre que l’actrice du tournage de film pornographique n’est autre que sa jeune sœur, la scène prend une direction très intéressante en ne prenant pas le pli scénaristiquement classique et réducteur de considérer cela comme un mauvaise chose. La jeune femme est tout à fait consciente de ce qu’elle fait et avance plusieurs arguments en sa faveur. De même, Kabukichō Love Hotel nous présente très froidement le quotidien des expatriés coréens à Tokyo, entre petits boulots, prostitution et racisme ambiant. Sans directement pointer du doigt le racisme dont sont victimes les coréens au Japon, Ryūichi HIROKI confronte ses personnages à la réalité d’aujourd’hui. La jeune femme coréenne fait face à une manifestation anti-immigrés tandis que des adolescentes toutes excitées demandent au jeune homme coréen de prendre une photo avec elles dans le restaurant où il travaille.
Comme le sous-entend le titre original du film – Sayonara Kabukichō – tous les personnages du film sont à la recherche d’une vie nouvelle. Tourner le dos à ce Kabukichō malheureux dans une fuite en avant vers quelque chose de meilleur. Certains y parviendront, d’autres non. En ce sens, Ryūichi HIROKI réussit son pari et parvient à s’adresser à ces jeunes – et moins jeunes – désenchantés et chéris par le cinéma japonais depuis quelques années.


Jusqu’à présent, Ryūichi HIROKI avait su briller avec des castings relativement simples, quand ils n’étaient pas anonymes. Bien qu’ayant tourné avec des noms connus du cinéma japonais comme Jun MURAKAMI, Nao ŌMORI ou encore Kō SHIBASAKI, pour ne citer qu’eux, les films de HIROKI ont toujours été empreints d’une certaine modestie qui les distinguait de nombreuses autres productions contemporaines, uniquement portées par les célébrités à l’affiche. Cependant, en choisissant pour Kabukichō Love Hotel l’acteur masculin le plus en vogue du Japon en la présence de Shōta SOMETANI et l’ancienne membre phare du groupe AKB48 Atsuko MAEDA, on sent un certain changement dans le cinéma de Ryūichi HIROKI et une réelle volonté de faire de ce film un succès commercial.
Le producteur du film, Naoya NARITA, présent à la projection organisée par le Kinotayo, précise d’ailleurs que le réalisateur souhaitait que ce rôle féminin soit interprété soit par Atsuko MAEDA, soit par Yūko ŌSHIMA, son ancienne compère au sein des AKB48, et – soit dit en passant – bien meilleure actrice que MAEDA. Si cela en dit long sur l’intégrité artistique du film, il est vrai que d’avoir l’ancienne meneuse du groupe d’idols le plus rentable de l’industrie musicale japonaise prête à casser son image virginale pour jouer le rôle d’une chanteuse prête à tout pour réussir et tombant dans les affres d’un business musical – et par extension cinématographique – sans scrupules est un joli doigt d’honneur à cette industrie.
Mais en misant toute la promotion du film sur la présence d’Atsuko MAEDA au casting alors qu’elle n’a qu’un rôle mineur et finalement pas si audacieux que ça, Kabukichō Love Hotel ne fait que prendre le pli de ce business. En fin de compte, ce duo d’acteurs qui a sûrement fait vendre un nombre incroyable de places de cinéma à travers le Japon s’avère être plus que dispensable dans le long-métrage. Shōta SOMETANI nous montre une fois de plus toute l’étendue de son jeu d’acteur limité dont on a bien fait le tour depuis sa révélation dans Himizu de Sion SONO, et Atsuko MAEDA n’apporte pas grand-chose au film si ce n’est son joli minois, sans compter quelques moments assez gênants où elle se décide à pousser la chansonnette en jouant de la guitare.
La véritable révélation de Kabukichō Love Hotel est l’actrice coréenne Eun-Woo LEE, notamment vue récemment dans le brûlot Moebius de Ki-Duk KIM. Véritable héroïne du film et porteuse d’un rôle bien plus osé que celui de MAEDA, tant sur l’implication que sur le message véhiculé par le personnage, l’actrice brille face à la caméra de Ryūichi HIROKI et offre les plus belles scènes du long-métrage, à mi-chemin entre ses choix de carrière les plus exigeants ou les plus subversifs et une interprétation à fleur de peau absolument saisissante.


Si les films de HIROKI n’ont jamais réellement brillé par la qualité de leur réalisation, le réalisateur a bel et bien une signature visuelle qui a déjà su nous proposer quelques coups d’éclats cinématographiques. On se souvient notamment de la superbe scène d’ouverture du film River, long plan séquence mélancolique d’une quinzaine de minutes filmé caméra à l’épaule à travers les rues d’Akihabara.
On retrouve dans Kabukichō Love Hotel ce qui fait le charme des films de Ryūichi HIROKI, à savoir l’ambiance des rues de Tokyo. Les films du réalisateur offrent un réalisme étonnant qui nous montre la ville sans filtre, comme une carte postale. Par on-ne-sait-quelle magie cinématographique, HIROKI parvient à casser le mur qui sépare le spectateur du cadre de son film et nous transporte au milieu des rues tokyoïtes, comme si on s’y trouvait. On ressent alors l’énergie intemporelle de la ville jusqu’à devenir soi-même une de ces silhouettes qui arpentent les rues aux côtés des personnages.
Malheureusement, au-delà de ces ambiances avec lesquelles Ryūichi HIROKI parvient à briller, Kabukichō Love Hotel s’avère être quelque peu quelconque dans sa réalisation. Malgré quelques plans séquences intéressants, on est loin de la maestria du susmentionné River. Dans Kabukichō Love Hotel, le réalisateur use de ce qui a su personnaliser son cinéma depuis plusieurs années. On retrouve des plans séquences et de la caméra à l’épaule, mais tout sonne faux ; la caméra est plus brouillonne que jamais et rien ne nous reste sur la cornée. Même les scènes érotiques – forcément, nous sommes dans un love-hotel – ne sont pas esthétiques pour un sou et tournent vite au grotesque. Le point d’orgue de cette bouffonnerie étant la censure inhérente à l’érotisme japonais que l’on retrouve tout à coup dans le film. Pourquoi ne pas avoir travaillé la photographie de la scène afin d’éviter de filmer les parties génitales des protagonistes plutôt que de nous gratifier d’une absurde pastille noire au beau milieu du film ? Amateurisme étonnant de la part de Ryūichi HIROKI, ancien réalisateur de pink qui ne pouvait ignorer la censure dont l’érotisme japonais est victime et dont on attendait quelque chose de plus travaillé et de plus esthétique.
Le film jouit cependant de quelques jolies scènes. Notamment ce long plan fixe sur ce couple déchiré qui se redécouvre, face à face dans une baignoire, les yeux clos. Mais ces quelques îlots de poésie ne parviennent pas à sauver le film, qui patauge dans un océan de médiocrité.


Kabukichō Love Hotel confirme la question soulevée par ses précédents long-métrages : Ryūichi HIROKI est en réalité un réalisateur maudit, plein de bonnes idées et de bonnes intentions, mais qui ne parviendra jamais à faire un vrai bon film.
On quitte la salle, le film déjà oublié, en répétant à qui veut bien l’entendre "je vous l’avais bien dit". Le plus dramatique dans cette histoire est que l’on ira voir le prochain film de Ryūichi HIROKI à sa sortie, en espérant que cette fois, ce sera la bonne.


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le 1 févr. 2016

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