Après son dernier long-métrage – "Real" –, un projet avorté – "1905" –, un court-métrage / clip purement alimentaire pour le compte de la pop-star et désormais actrice Atsuko MAEDA – l’horripilant "Seventh Code" – et un passage au Festival international du film de Hong Kong avec le court-métrage de comédie kung-fu "Beautiful New Bay Area Project", Kiyoshi KUROSAWA fait un retour remarqué avec "Vers L’Autre Rive", présenté au Festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard. Lancé juste après la sortie de "Real", on est resté longtemps sans nouvelles de ce projet, si bien que l’on pensait ne jamais le voir sur les écrans.
La production du film aura donc pris près de trois ans et est sorti en première mondiale pour le Festival de Cannes, alors qu’il n’est pas encore en salle au Japon. Les fans du réalisateur sont aux anges puisque le réalisateur revient à son style de prédilection : le film de fantômes. Mais chez KUROSAWA, les fantômes ne sont pas des créatures horrifiques et meurtrières comme chez Hideo NAKATA ("Ring", "Dark Water"). Subtiles, romantiques et dramatiques, les fantômes de KUROSAWA sont des êtres abandonnés à la mort mais retenus chez les vivants. Comme les esprits de "Kaïro" (2001) ou de "Rétribution" (2007), les fantômes de "Vers L’Autre Rive" errent parmi les vivants avec l’espoir de dire ce qui n’a pas été dit et de pouvoir reposer en paix sans ne rien laisser d’inachevé derrière eux. Dans "Vers L’Autre Rive", Yusuke est mort, il ne le cache pas et nous raconte même les circonstances de son trépas. Pas de mystère ou de twist inattendu, c’est un fantôme et il a un monde à nous montrer. Le voyage commence alors.
Porté par la réalisation une fois de plus sublime de Kiyoshi KUROSAWA, chaque plan est construit comme un tableau et n’use d’aucun artifice. L’image est sobre et réaliste, loin de toute imagerie fantastique liée aux esprits. Mais les codes du film de fantômes sont utilisés par KUROSAWA avec une subtile parcimonie. Ainsi, aucun déluge d’effets spéciaux ne viendra accompagner la venue de ces apparitions surnaturelles si ce n’est une lumière diffuse emplissant l’espace à la manière d’une toile impressionniste, nous disant alors que le surnaturel est à l’œuvre mais que les morts n’en veulent pas aux vivants.
"Vers L’Autre Rive" jouit d’un casting cinq étoiles – aucune diva ne vient entacher le film – naviguant dans une retenue et une délicatesse propre au cinéma de KUROSAWA. On retrouve ainsi la star Tadanobu ASANO, acteur fétiche de Sogo ISHII et ayant les plus grands réalisateurs japonais et étrangers sur son CV (Hideaki ANNO, Christopher DOYLE, Hou HSIAO-HSIEN, Shunji IWAI, Hirokazu KOREEDA, Nagisa OSHIMA et Shinya TSUKAMOTO pour ne citer qu’eux), qui apporte au personnage de Yusuke ce qu’il faut pour nous convaincre de sa situation de fantôme. À ses côtés, Eri FUKATSU, récemment vue dans le diptyque "Kiseijû" de Takashi YAMAZAKI, et qui offre ici une sublime performance sans poudre aux yeux et sans mélodrame. Enfin, il convient de noter la présence de la belle Yu AOI, qui nous prouve une fois de plus toute l’étendue de son talent, et ce même en ne restant que cinq minutes à l’écran. AOI et FUKATSU sont élevées au statut d’égérie par la caméra de KUROSAWA, donnant l’impression que chaque plan a été fait à la gloire des deux comédiennes. Kiyoshi KUROSAWA a toujours su choisir et sublimer ses actrices (oui, même Atsuko MAEDA dans "Seventh Code") et il prouve ici une fois de plus la passion cinématographique qu’il éprouve pour la gente féminine.
Lors de la présentation du film, Kiyoshi KUROSAWA a annoncé espérer que le public saura comprendre ce qu’il a voulu dire avec ce nouveau film. "Vers L’Autre Rive" est en effet cryptique et il est difficile de savoir quel sens KUROSAWA a voulu donner à son histoire. Plusieurs niveaux de lecture sont envisageables, le film peut être simplement métaphorique ou complètement métaphysique, et même en considérant ces options, plusieurs interprétations sont possibles quant aux événements touchant les protagonistes.
Il est difficile de situer "Vers L’Autre Rive" dans la filmographie de Kiyoshi KUROSAWA ; on est très vite tenté de le considérer comme le meilleur film du réalisateur, mais ce serait un peu vite oublier la puissance émotionnelle de "Real" ou encore la qualité de "Kaïro". Cependant, on peut sans hésiter affirmer que ce film est probablement le plus abouti de sa filmographie et le jury de la sélection Un Certain Regard ne s’y est pas trompé en lui attribuant le Prix de la mise en scène.
Critique disponible sur Journal Du Japon