Il y a quelque beauté à ce que la trajectoire d’un récit – dans le cas présent, une femme conviée à un voyage bucolique par le fantôme de son défunt mari – soit dès le départ condamnée à l’échec. Se donnant tout entier comme une parenthèse, une transition dans la vie d’une femme, le film se place d’emblée sous le signe de l’acceptation – acceptation calme, paisible, de ce couple qui a été et ne pourra plus être. Au rythme lancinant d’une balade champêtre scandée par les rencontres et autres découvertes culinaires, l’héroïne apprend à revivre. Toute la beauté paradoxale du propos est là : c’est en retrouvant une proximité, une intimité, que les deux amoureux puiseront la force de se séparer définitivement.
L’autre étonnement procuré par le dernier opus de Kyoshi Kurosawa réside dans cette approche totalement anti-spectaculaire d’un genre pourtant fortement connoté : le film de fantôme. Réfractaire à son utilisation symbolique ou psychologique (le spectre comme projection du désir de l’héroïne), Vers l’autre rive ne laisse aucun doute quant à l’existence du fantôme : vu de tous, enclin à communiquer avec les autres, il a une réelle présence matérielle – esprit bienveillant doublé d’un corps concret. En cela, malgré le traitement extrêmement sobre et « réaliste » de Kurosawa, Vers l’autre rive s’impose comme un film résolument fantastique.
D’une histoire au potentiel aussi passionnant, le cinéaste tire pourtant une œuvre curieusement asséchée, sans grande saveur. À trop vouloir jouer la carte de la discrétion, de la légèreté douce-amère et du bucolique un brin trivial, Vers l’autre rive accuse un manque cruel d’incarnation. Dès lors, l’émotion peine à se frayer un chemin, et ce, d’autant plus que le duo principal est fortement entaché par la fadeur du personnage masculin. En résulte une œuvre étonnante, malheureusement prise au piège de ses propres parti pris.