Lorsqu’il surprend une conversation entre ses producteurs décidant de mettre un terme au film qu’il est en train de tourner, le réalisateur Carl Denham (Jack Black) les prend de court. Il se précipite avec son équipe de tournage sur le navire pour appareiller avant que le capitaine de ce dernier (Thomas Kretschmann) n’apprenne l’annulation du projet. Il embarque dans son aventure son scénariste (Adrien Brody), qui s’en consolera auprès de la belle Ann Darrow (Naomi Watts), recrutée au dernier moment pour être l’héroïne du film. Ce que tout le monde ignore sauf Denham, c’est la destination réelle du navire : une île entièrement méconnue des cartographes, Skull Island…
C’est un rêve d’enfant qu’accomplit ici Peter Jackson. De fait, il réalise un remake du film qui lui donna envie de faire du cinéma. Et s’il montre encore une fois qu’il est un grand réalisateur, Jackson fait aussi ses preuves en tant que cinéphile accompli, rendant un hommage vibrant au grand classique de 1933, mais aussi au cinéma tout court. En nous montrant Jack Black voulant à tout prix filmer les grosses bestioles qu’il découvre sur l’île, même au détriment de vies humaines, Peter Jackson nous offre une savoureuse mise en abyme de lui-même, dans une version cynique, donnant enfin corps à son plus grand rêve.
Et il faut dire qu’il s’y prend de manière magistrale : évidemment, en un siècle, les budgets ont augmenté en même temps que la qualité des effets spéciaux, et le film de Jackson n’a plus grand-chose à voir sur le plan visuel avec son modèle. S’il est vrai que le film de 1933 doit aujourd’hui beaucoup de son charme à ses effets spéciaux tout-à-fait dépassés, il faut reconnaître que Peter Jackson compense cette absence de charme et d’authenticité par une mise en scène, mettant parfaitement en valeur ses effets numériques dantesques. De fait, la photographie d’Andrew Lesnie est proprement hallucinante, faisant de chaque plan une œuvre d’art en soi, impression renforcée par la musique parfaite de James Newton Howard (pléonasme !). Cela n’empêche pas la séquence centrale du film, à savoir les aventures de l’équipe de tournage dans la jungle, de basculer trop souvent dans l’exagération, malgré les scènes intéressantes développant la relation improbable entre Ann Darrow et le gigantesque singe. La lutte de ces hommes contre des dinosaures à peu près aussi fantaisistes que ceux de la version originale se goûte d’abord volontiers, puis finit par se répéter, les héros n’échappant à un dinosaure que pour tomber entre les dents d’un autre encore pire, dans une boucle scénaristique pas toujours du meilleur goût, dont on craint qu’elle ne s’arrêtera jamais. Fort heureusement, elle s’achève, et laisse place à une séquence new-yorkaise dont la perfection frôle l’absolu. Après les délires enfantins de Jackson (ce qui ne signifie pas qu'ils soient désagréables pour autant), mettant en scène des combats grandiloquents de gigantesques monstres se dévorant entre eux, la dernière heure de film se révèle en revanche d’une puissance bien rare.
On retiendra particulièrement la scène des retrouvailles de Kong et d’Ann dans les rues de New York, moment de grâce infinie, dont on voudrait qu’il ne s’arrête jamais. On retiendra aussi, bien sûr, la poursuite finale et la scène de l’Empire State Building, réussite triomphale d’un réalisateur qui n’oublie pas que « blockbuster » ne signifie pas « renoncement à toute créativité ». Et c’est ainsi que le King Kong de Peter Jackson se termine en apothéose, dans un final colossal parvenant à nous faire oublier tous les défauts, lourdeurs ou longueurs, du film. Par ce puissant hommage au cinéma du XXe siècle, Jackson nous propose donc un immense moment de cinéma à part entière, qui reste gravé dans la rétine longtemps après sa découverte.