Septième étape de ma rétrospective King Kong avec ce second remake du film original : le King Kong de Peter Jackson (2005). Le film avec lequel j'ai découvert King Kong il y a maintenant seize ans. Et devant lequel j'avais alors, du haut de mes douze ans, pris une sacrée claque.
La claque, Peter Jackson se l'était lui prise à l'âge de neuf ans devant le film original. Généreux, le Néo-Zélandais décidera de l'administrer sans ménagement à une nouvelle génération de spectateurs trois décennies plus tard. Il faut dire que le 30 mars 2003, date à laquelle il est officiellement intronisé par Universal à la barre d'un remake de King Kong, le bonhomme est en état de grâce : sa trilogie du Seigneur des Anneaux est en train de tout exploser (le box-office, les critiques, les récompenses) et par là même de l'installer comme un poids lourd à Hollywood. Aussi va-t-il pouvoir jouir de moyens considérables pour mener à bien son rêve : celui de réinterpréter ce classique pour le 21ème siècle. Tant mieux pour nous, parce que le résultat sera formidable.
Contrairement au remake de 1976, ce King Kong cuvée 2005 se veut lui très fidèle au film de 1933 : plutôt que d'en actualiser l'intrigue, les enjeux, les personnages et les décors, Peter Jackson fait en effet le choix – et c'est tout à son honneur – de situer son remake en 1933 et de conserver ainsi toute l’imagerie du film original. On oublie les mises à jour – plus ou moins pertinentes – opérées par le précédent remake pour ici coller religieusement au film de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack… tout en l’enrichissant considérablement : le film dure ainsi deux fois plus longtemps que son modèle ! Car s’il en reprend quasiment toute la matière, il l’étoffe aussi de toutes parts : de l’introduction new-yorkaise au final (new-yorkais toujours), Peter Jackson en rajoute. Partout. Plus de personnages, humains comme monstres, plus de péripéties, plus de dialogues et plus d’acrobaties. Des ajouts qui, s’ils sont tous de bon goût, sont en réalité presque tous inutiles… puisque le film ne dit au fond presque rien de plus que le film original. Pourtant, galvanisé par une étonnante – et réjouissante – folie des grandeurs, Peter Jackson a décidé de tout augmenter en poussant au maximum tous les curseurs… y compris celui du cœur.
Parce que c’est ça le plus beau avec ce film : il a du cœur. Enormément. Loin de n’être qu’une (impressionnante, qu’on se le dise) démo technique désincarnée pour Weta Workshop/Digital, le film suinte l’amour et la tendresse de son réalisateur pour le film original et pour ses personnages. Il y a dans ce King Kong plus que dans nul autre une affection poignante pour sa figure de Kong, ici l’objet de nombreuses scènes le dévoilant sous un jour plus sensible et émouvant que jamais – et c’est l’occasion de saluer au passage la performance épatante d’Andy Serkis. C’est tout con mais il suffit de voir le gorille se bidonner devant les pitreries d’Ann (leur troisième ou quatrième scène commune) pour immédiatement l’adopter. D’ailleurs, Peter Jackson ne s’y trompe pas puisqu’il choisit – et c’est bien l’une des rares libertés de fond qu’il s’autorise vis-à-vis du film de 1933 – de faire s’y attacher Ann. La même Ann qui dans le film original fuyait jusqu’à la fin le gorille géant (ce pourquoi personne ne lui jettera la pierre) s’attache ici progressivement à lui. Jusqu’à aller le retrouver de son plein gré lors du dernier acte new-yorkais… Et c’est là l’une des bonnes idées de Peter Jackson : transformer le film d’horreur qu’était (concrètement) King Kong en une histoire d’amour réciproque (mais toujours platonique, hein – rangez vos bites les détraqués). Toujours sous les atours du fantastique et de l’aventure…
Et quelle aventure ! Le film est là-dessus d’une générosité rare… Notamment en ce qui concerne ses nombreuses scènes d’action, toutes complètement folles, à la fois virtuoses et ludiques. C’est du Peter Jackson en pleine possession de ses moyens, qui s’amuse comme un gosse et entend bien nous en faire profiter un maximum : King Kong affrontait un tyrannosaure en 1933 ? Il en affrontera trois ici, allez ! Il affrontait un ptérodactyle en 1933 ? Il affrontera une quinzaine de chauve-souris géantes ici ! Les humains, eux, croisaient un tricératops une fois franchi le mur ? Ça marche ! mais ils croiseront aussi des diplodocus et des vélociraptors. Cooper et Schoedsack avaient réalisé une scène où ils affrontaient plus tard des saloperies au fond d’une crevasse mais cette dernière a été perdue ? Pas de souci… on la refait quand même ! Le mot d’ordre est ici la démesure. Et tant mieux, puisqu’elle est en l’occurrence au service du talent… sans compter que les effets spéciaux mettent toujours à l’amende, quinze ans plus tard, la quasi-totalité de la production hollywoodienne… alors pourquoi faire la fine bouche ? Les faquins diront « indigeste », oui… mais ce sont justement des faquins… dont nous pardonnerons avec indulgence l’égarement…
Outre la mise en scène jouissive de Peter Jackson, mentionnons la photo très réussie, la distribution impeccable et la bande-son très satisfaisante de James Newton Howard, qui signe plein de mélodies magnifiques. Je reste curieux d’écouter un jour le score qu’avait composé Howard Shore avant de quitter – sur le tard – le projet… Mais qu’importe, l’essentiel est sauf : les étoiles se sont alignées pour que le film soit une franche réussite : généreux, jouissif, poétique. Peter Jackson y a insufflé tout son talent et son cœur et a réalisé avec ce film le blockbuster parfait. Et redonné au gorille légendaire ses lettres de noblesse.
Je lui tire mon chapeau.