Grand nettoyage
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Adapté d’un roman de Ruth Rendell, L’analphabète (A judgement in stone), mais évoquant également Les bonnes de Jean Genet, pièce de théâtre elle-même inspirée de l’affaire des sœurs Papin, La cérémonie décrypte les rouages, et jusqu'à son dénouement froid et sévère, d’un rapport de classes qui ne dirait pas totalement son nom. Désespérance des pauvres contre suffisance des bourgeois : il y a forcément de cela, mais rien n’est vraiment simple, et l’argent ne sert, à aucun moment, d’argument de contestation. Les différends ont plus à voir avec des détails de maîtrise et d’emprise, et surtout de langage (c’est principalement le cas pour Sophie, illettrée, qui s’arrange des images et des signes plutôt que des mots).
Progressivement (et très sûrement), tout vient à se dérégler, à se désorganiser quand plus aucune valeur morale n’est apte à rendre compréhensible les vrais aboutissements et enjeux d’une lutte (sourde) de société. Restent alors la violence et le sang pour seules répliques (aveugles) à la honte et la condescendance. Honte de se sentir exclu(e), honte de ne pas savoir lire et écrire, condescendance cynique de bourgeois apparemment irréprochables qui, par exemple, vont préférer le terme "bonne à tout faire", soi-disant plus gratifiant, à celui d’"employée de maison" (le langage, encore).
Ce sont ces minces fragments "d’injustice", ces écarts de perception des choses que Claude Chabrol et sa scénariste Caroline Eliacheff disséminent puis observent dans l’attente d’une chute, chute qui prendra la forme d'une cérémonie vengeresse où plus rien n’a de sens sinon celui d’une société bloquée parvenue à l’évidence de sa perte. Instigatrices, par la force (l'inéluctabilité) des choses, de ce jeu de massacre exutoire, Sandrine Bonnaire et Isabelle Huppert excellent, impressionnent même, dans leur rôle de Némésis des campagnes avec chacune, au moins, une scène puissante résumant bien le fonctionnement, la "mécanique" de leur personnage (Bonnaire dans celle du test "Êtes-vous une salope ?", Huppert quand elle raconte l’accident mortel de sa fille). Elles sont les emblèmes ad hoc de cet état des lieux déliquescent, allégories parfaites d’un chef-d’œuvre parfait exposant la cruauté, latente puis irrémédiable, d’une répression sociale et le gouffre entre deux mondes condamnés à ne jamais se comprendre.
Créée
le 30 nov. 2012
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