Il n’y a probablement pas de cinéaste autant associé au genre du western que John Ford. Certes, nous pouvons aussi penser à Sergio Leone, mais le cinéaste américain a pour lui une longévité exceptionnelle et une filmographie d’une grande richesse, dont La Chevauchée fantastique constitue l’une des plaques tournantes.
Le western est un genre remontant aux origines du cinéma, avec des films comme Le Vol du Grand Rapide (1903), et John Ford s’y était déjà essayé à de nombreuses reprises, notamment aux côtés d’Harry Carey à la fin des années 1910 avec des films comme A l’assaut du boulevard (1917), puis dans des œuvres de grande ampleur comme Le Cheval de Fer (1924). Durant les années 1930, le genre était en perte de vitesse, souvent relégué à des productions de seconde zone, et John Ford s’en était quelque peu éloigné. La Chevauchée fantastique va donc marquer le retour du maître à ses œuvres, qui s’engage ici dans un pari risqué, qui va cependant s’avérer payant.
Le postulat de base est assez simple et classique, avec cette introduction et cette réunion de personnages d’horizons et aux caractères divers, qui vont se retrouvés embarqués dans une diligence pour un long voyage qui va les faire traverser des lieux plein des dangers, à cause de la présence d’Apaches sur ces territoires. Le motif du groupe hétérogène dans un petit espace est assez commun, et fut utilisé dans d’autres films d’anthologie comme 12 hommes en colère (1957), et c’est ce qui permet ici à John Ford de rapidement mettre en lumière une palette variée de personnages. Chacun apparaît à son tour, jusqu’à ce que le grand départ pour le voyage soit lancé, dans cette petite diligence où chacun va devoir s’accommoder de la présence des autres. En enfermant tous ces personnages incarnant diverses facettes d’une société, John Ford crée des frictions pour les faire interagir entre elles et chercher l’humanité dans un monde divisé et aride.
En effet, John Ford est avant tout un cinéaste humaniste, et c’est à travers les relations qui se créent entre les personnages qu’il va les faire évoluer et créer des moments d’humanité qui visent à transcender les différences. Mais la démarche du cinéaste s’inscrit dans quelque chose de plus grand, à l’image des vastes et majestueuses étendues de Monument Valley, où une grande partie du film a été tourné. Le cinéaste américain rend ici hommage aux somptueux paysages des terres sauvages d’Amérique du Nord mais, surtout, il procède à une véritable remise en perspective de l’humanité elle-même. Enfermée dans cette diligence, elle prend tout l’écran dans les scènes d’intérieur, mais elle paraît soudain bien petite une fois remise à l’échelle au milieu de ces immenses décors. Les différences paraissent ainsi être bien peu de choses, et cette grandeur invite à la modestie.
La Chevauchée Fantastique parvient à jouer sur les échelles pour proposer un film à la fois à hauteur d’homme, tout en prenant aussi beaucoup de recul pour avoir un regard plus global. Ses dialogues riches et la variété des personnages permet au film d’offrir une histoire intéressante et universelle, rappelant la capacité du western à sonder des thématiques intemporelles, loin de se limiter aux époques dans laquelle ils se situent. John Ford réalise ici un film qui refaçonne l’identité du western, en filmant magnifiquement ces grands espaces, en nous faisant frissonner lors de l’impressionnante attaque des Apaches, et en donnant vie à des personnages consistants. En donnant sa chance à John Wayne, il fait également éclore une nouvelle icône, avec laquelle il formera par la suite un duo prolifique qui fera les plus belles heures du genre.
Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art