En 1938, Howard Hawks réalise L'Impossible Monsieur Bébé, un des emblèmes de la screwball comedy. Deux ans plus tard, il récidive avec La dame du Vendredi, réunissant une large partie de la même équipe, devenant lui-même un des films les plus fameux du genre. Malheureusement pour ce His Girl Friday si mal traduit en France, l'âge et la réputation ne changent rien à l'affaire. Il n'y a pas de raison d'être complaisant avec une comédie gueularde et superficielle s'arrogeant une supériorité morale ou intellectuelle à base d'idées reçues médiocres ou primaires.
Il n'y a donc pas de raison de tenir en estime cette Dame du Vendredi, produit exactement comme ses personnages : bavard et insipide pour une abondance de faits et d'échanges oiseux, au service de démonstrations d'une arrogance illégitime et d'autant plus déconcertante. Il est fondé d'estimer que le monde de la presse est décrié ici, montré comme cynique et absurde ; de voir dans His Girl Friday un film affichant une société proche de l'hystérie et d'une superficialité monumentale. Or nous rions avec ce monde ennuyeux, nous sommes présumés exulter avec lui, en lui, par lui, tout en accompagnant une perspective d'une pauvreté et d'un conformisme affligeants, voir assez agressifs.
La Dame du Vendredi est l'Hollywood classique, grossier et conquérant incarné. Ce film voudrait avoir tous les lauriers, profiter de l'enthousiasme vaudevillesque tout en se posant comme 'critique' également : mais il est comme eux, ne cessant de l'ouvrir en croyant faire de l'esprit. Cela se traduit par quelques petites saillies au mordant innocent où est censé percer une acuité profonde et un moralisme intense. Il n'y a rien, aucune observation, aucune finesse : c'est le degré zéro du regard d'auteur et de la réflexion. Par moments la séance ressemble à une sorte d'AbFab précoce, où tout et surtout tout le monde est tristement normal mais pas moins obscène.
Parmi tous ces bourgeois euphoriques et dramatiques, Carry Grant est censé être l'opportuniste lucide se détachant. Il est tout aussi insupportable et bête que les autres, son intelligence est pratique et il a les références nécessaires. C'est bien faible et surtout bien laid. L'euphorie poussive de l'Hollywood classique, avec tous ces imbéciles joviaux et rationnels aux voix sur-aiguës, est au zénith. Il y a une petite nuance dans l'optimisme, une petite goutte d'acidité : c'est présumé donner au film une complexité dont il n'a pas le contenu et à peine les formes.
Que cette chose passe pour un équivalent des travaux de Bunuel ou même de Renoir, ce qui est sa prétention manifeste, est une connerie monumentale. C'est une comédie hollywoodienne chic et criarde, sans aucun recul vrai sur elle-même (pas forcément spirituel pourtant, Les Hommes préfèrent les blondes sera infiniment plus pertinent quand à ce qu'il profère). Au début le réalisateur souligne bien qu'il ne vise pas la presse (pour nous indiquer donc qu'il la dénoncera l'air de rien) ; et il infiltre deux gimmicks ironiques dans le flux. C'est tout. Un condamné à la peine capitale et même une mort sur la route de nos bourgeois exaltés : il y a du lourd, message reçu.
Il y a du lourd mais après tout le directeur des opérations est le même que pour Rio Bravo, western lénifiant niant son genre à force de grandiloquence et de démagogie. Le qualifier de disneyen est tentant, mais Disney a du fond, peu importe qu'il soit niais ou normatif. Disney a une stature morale qu'il communique, Disney ne feinte pas la distanciation et donc ne se donne pas l'occasion de travestir sa bêtise. Tenter de battre le record de mots à la minute ne change rien à l'idiotie intrinsèque du programme. Cela ne fait qu'interdire le moindre répit aux otages d'une représentation basse et vaniteuse.
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Les autres films de Hawks :
http://www.senscritique.com/film/Scarface/critique/43059372
http://www.senscritique.com/film/Le_Port_de_l_angoisse/critique/37746718
http://www.senscritique.com/film/Le_Grand_Sommeil/critique/36337891