1972, on est à la fin de la guerre du Viêt-Nam et en pleine période hippie. Wes Craven a 33 ans à l'époque. Le jeune Wes Craven a été élevé dans le strict respect des principes du protestantisme baptiste et des engagements moraux qui en découle. Il deviendra artiste par l'intermédiaire de ses amis les frères Chapin, respectivement musicien folk et postproducteur de cinéma. Ses premières réalisations de films se feront dans le porno hardcore, comme une nique à son éducation maternelle. Il a d'ailleurs participé au tournage du célèbre Gorge profonde, sorti également en 72. C'est en rencontrant le directeur de théâtre Sean S. Cunningham, également actif dans la sexploitation cinématographique, que le projet de son premier film prend forme. Craven écrit et réalise tandis que Cunningham s'occupe de la production. Ce sera Cunningham qui conseillera à Craven de "s'inspirer de son éducation fondamentaliste" pour écrire un film d'horreur. A la base, Craven avait écrit un film beaucoup plus pornographique, et tous les acteurs avaient été engagés sur ce scénario initial.
Le film raconte donc l'histoire de Mari, une jeune fille en fleur, qui quitte le domicile familial bourgeois pour partir dans un festival hippie avec une copine. Elles veulent se faire un plan beuh en route et, pas de bol, elles tombent sur trois garçons et une fille qui vont les enlever et les amener en forêt pour les violer et jouer du couteau. Pendant ce temps, les parents de Mari redoute le pire...
Craven réussit très bien à installer un putain de malaise. Non pas seulement à cause d'une violence insoutenable (Eden Lake en 2008 jouera beaucoup plus là-dessus) ou un scénario torturé mais par un climat malsain et voyeuriste caractéristique des films d'exploitation : en témoigne les gros plans sur Mari dans la douche au début ou la façon de filmer les viols. Mais le film justifie complètement ces scènes repoussantes par son propos de fond. C'est ce film qui a inventé le genre codifié du « film d'horreur de proximité » avec des méchants banals, accessibles, qui ne se démarque de leurs victimes que par leurs actes et non par leurs personnalités, et ce dans un décor familier avec une musique folk entraînante. C'est l'exact opposé du schéma d'ensauvagement de Massacre à la tronçonneuse ou de Délivrance qui ont lieu dans des zones exogènes peuplées de dégénérés primitifs, mi-homme mi-bêtes. Ici, la barbarie est endogène à la société civilisée, plus dans la lignée d'un Orange mécanique sorti six mois plus tôt.
Le génie de ce film ne tient pas à son scénario en lui-même, mais en ce qu'il reflétait les fantasmes morbides de la société conservatrice d'alors, quotidiennement nourrie par les nouvelles de la guerre du Viêt Nam. Le film n'est d'un bout à l'autre que le cauchemar des parents de Mari, qui lisaient des faits divers horribles dans les journaux et les projetaient sur leur fille. Tout le film est un produit de leur subconscient, de leur peur refoulée, et non de celui des deux jeunes filles, reléguées à leurs rôles de victimes. Peur que leur enfant sorte du rang, échappe à leur morale bourgeoise en allant se perdre avec des hippies qui disent prêcher la paix et l'amour mais qui sont en fait des violeurs assoiffés de sang (« Bloodlust », comme le souligne le nom du groupe de musique que Mari veut aller voir). Le film n'hésite pas à verser dans la comédie ou la caricature pour servir son propos : les policiers sont des guignols, les jeunes du même âge que Mari sont des barbares, la société fout le camp et finalement, il ne reste plus qu'à se faire justice soi-même. À la fin du film, ces parents si propres sur eux deviennent les barbares qu'ils redoutent, qu'ils fantasment. L'auteur du cauchemar se trahit lui-même. La boucle est bouclée.
Comme Wes Craven l'a lui-même déclaré, les bons films d'horreur ne crée pas de la peur, mais au contraire, ils l'évacuent. La Dernière Maison sur la gauche évacue la peur de toute une génération terrifiée par le mode de vie de leurs enfants, marqués par le changement de paradigme post-soixante-huitard.