« If they move, kill’em ! »
Le problème avec les films mythiques qui se posent comme des jalons dans l’histoire esthétique de leur genre, c’est qu’on ne peut plus les considérer comme des œuvres à l’égal des autres. On les regarde avec un œil d’historien, dans l’attente d’une confirmation : voilà, cette scène, on n’avait pas avant, ces plans, cet angle, ce traitement du thème, ce regard sur le monde.
Ce film est génial à bien des égards, et effectivement fondateur. Difficile de ne pas penser au disciple John Woo (car oui, comme bien des gens de ma génération, j’aurai finalement fait le chemin à l’envers, remontant tardivement à la source) dans les scènes de fusillades, tant par l’utilisation des ralentis que le découpage répétitif. Cette signature de Peckinpah est un régal, jubilatoire dans sa représentation de la violence, lyrique dans ses gradations qui terminent dans un carnage superbement orchestré, en ouverture et clôture du film. La brutalité de ses prises de vue est tout à fait audacieuse, jusqu’à l’excès de certains panoramiques ou de zoom trop rapides, censés souligner la violence de la découverte ou suivre le regard des protagonistes.
L’autre intérêt est aussi le pessimisme ambiant et le regard porté sur la nature humaine. Au discours mythologique habituel du western, Peckinpah oppose un monde vénal, cruel et sadique, peuplé de détrousseurs de cadavres, où mêmes les femmes et les enfants participent à la violence, symboliquement (le scorpion dans les fourmis rouges sur le générique de début) et finalement au sens propre du terme, en prenant les armes.
L’attention que porte le réalisateur aux populations est très intéressant : les regards d’enfants, les visages de femme, dans un premier temps au second plan, mais toujours invités à l’image, témoignent silencieusement d’une situation sociale désastreuse (la pauvreté, la prostitution), mais d’un sens du festif innée (les (trop) nombreuses fêtes locales et folkloriques). L’allégorie définitive que propose Pekinpah de cette population est frappante : un enfant tête le sein de sa mère, et l’élargissement du plan nous montre sa poitrine barrée d’une ceinture de cartouches.
Les personnages principaux, sans autre motif que le gain, offrent leur service au plus offrant sans aucun souci idéologique (et reprennent en cela le regard posé par Aldrich sur les siens dans Vera Cruz, quelque 15 ans plus tôt) Progressivement se dessine tout de même un certain sens de l’honneur et de la fratrie qui motive le baroud d’honneur final.
Cependant, le visionnage intégral du film, qui dure près de 2h30, n’est pas sans relâchement de l’attention. Trop long, d’un rythme assez inégal (trois scènes absolument splendides (l’attaque de la banque, du train, puis le carnage final), il multiplie assez inutilement les scènes de bande (l’ivresse, les fêtes, les fous-rires, les prostituées) et aurait demandé de sacrées coupes pour garder sa nervosité. On pourra dire que ces longueurs se justifient par le regard que veut poser Peckinpah sur le peuple, notamment dans le contexte révolutionnaire du Mexique, ce qu’il fait assez bien. Mais il n’était pas nécessaire de s’appesantir autant sur le temps morts, surtout après la première scène, où le film met près d’une heure à réellement reprendre son rythme.
La Horde Sauvage est effectivement un film majeur, mais ses morceaux de bravoure n’occultent pas en totalité ses défauts.