Sélectionné au festival de Cannes 2015, La loi du marché est un film engagé, parlant de la société actuelle et surtout d'un homme; Vincent Lindon; se débattant face à des fonctionnaires et employeurs, peu enclin à lui permettre de retrouver sa dignité. Le réalisateur Stéphane Brizé signe une oeuvre anxiogène et réaliste.


On entre directement dans le vif du sujet, avec la caméra montrant Vincent Lindon de profil, en plein échange avec un conseiller pole emploi. Il vient de finir une formation de grutier, sauf qu'il ne peut occuper ce poste, vu qu'il faut avoir travaillé au sol, pour accéder à ce poste. Une aberration, qu'il tente d'expliquer à ce conseiller, comprenant son point de vue, mais ce qui est fait, est fait....Une première scène froide, comme le parcours de cet homme, qui va se retrouver face à d'autres contradictions et humiliations, dans un système, plus enclin à broyer l'humain, au lieu de le soutenir.
C'est un homme profondément humain, marié à une femme discrète et un fils handicapé, plein de vie et promis à de brillantes études. Mais dès qu'il sort de chez lui, la réalité le rattrape et elle est froide, comme la mort. Une mort qui rôde autour de lui, une ombre revenant encore et encore, dans le discours d'une banquière, où sur son nouveau lieu de travail. Un emploi de vigile pris par défaut, pour survivre et exister, mais bien loin de ses convictions, en surveillant et humiliant à son tour des clients, comme des employés. Ces gens tentant de survivre, avec ou sans emploi, dont la vie peut basculer, pour avoir céder à la tentation de voler de la viande ou des coupons de réductions. Des actes désespérées, au risque de se retrouver face à la police ou sans emploi. Cela en dit long, sur leurs conditions de vies dans notre société actuelle.
Avant cela, il va devoir subir un entretien d'embauche via skype, où on lui fait miroiter un poste dans son domaine, avant de le rabaisser petit à petit, en critiquant son cv et en le reprenant sur son langage. Il en sera de même, lors d'un stage Pole Emploi, face aux critiques d'autres chômeurs, jugeant sa posture, son phrasé et ce qu'il dégage, après le visionnage d'un entretien filmé. D'humiliations en humiliations, il baisse les yeux, mais pas les bras. Il se dégage une humanité de cet homme, au bord de l'implosion, face à la violence de ce monde du travail.


Cela parle de la France d'aujourd'hui, où les chômeurs sont stigmatisés, par un gouvernement dit de gauche, exerçant sur eux une pression insoutenable, en les contrôlant, au lieu de les aider. On est plus proche du documentaire, que d'une fiction. Stéphane Brizé a pris le parti de filmer au plus près des visages, surtout celui de Vincent Lindon, un acteur puissant et imposant, au milieu de non professionnels, jouant leurs propres rôles, accentuant encore plus le côté documentaire. C'est du cinéma qui pousse à la réflexion, on en ressort mal à l'aise, face à cette réalité sociale, à la douleur d'un homme sur la corde raide. On est en empathie face à lui, sans que jamais, le trait soit forcé, tout en ne sombrant pas dans le pathos. C'est déjà assez dur, pour ne pas en rajouter, en tombant dans une surenchère malvenue.
La violence des rapports humains, dans et en dehors du monde du travail, à travers les discours convenus de fonctionnaires, où du directeur des ressources humaines, ressemblent à des claques infligés à cet homme, tout comme au personnel, eux aussi coincés dans un système, dont seul le profit compte. On ne l'entend jamais s'apitoyer sur son sort, il reste digne et tente de s'en sortir, malgré tout les obstacles s'élevant face à lui. On ne sait finalement pas grand chose de lui, c'est un inconnu parmi tant d'autres, tentant de retrouver une place dans une société, dont il a subit les conséquences de la délocalisation. Des actionnaires évoqués, mais sans visage, ne se mélangeant pas au "peuple", trop occuper à fructifier leurs dividendes, en oubliant l'humain. Un constant effrayant du monde actuel, ou les riches sont de plus en plus riches et les pauvres, de plus en pauvres.
On regrettera l'absence de dialogues entre Vincent Lindon et sa femme (Karine De Mirbeck). Stéphane Brizé se focalise sur son personnage principal, montrant rarement le visage, ou partiellement, des autres acteurs. C'est un homme semblant être seul face au monde, alors qu'il a une famille. Mais le sujet, c'est lui et personne d'autres, au risque de perdre le spectateur en cours de route, face à la froideur de son propos et cette fin, aussi brutale, que frustrante. Elle est comme le début du film, on entre rapidement dedans et on en sort de la même façon. On vient de vivre un instant de la vie, de cet homme, comme dans un documentaire, le happy end ou une chute, ne peut exister, la vie continue, malgré tout.


Rarement le cinéma français a été capable de retranscrire avec justesse, la difficulté de l'homme face à un système défaillant et humiliant. On est souvent en colère face aux aberrations et discours inadéquats, à la situation d'un Vincent Lindon, juste et émouvant. C'est du cinéma social, comme du Ken Loach, ce qui en dit long, sur la qualité de ce film.

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le 21 mai 2015

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Laurent Doe

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