Recette du parfait mijoté de social (à la française) accompagné de sa sauce aigre. Pour commencer, prenez un fait de société qui a du sens, dans l’air du temps, un truc important sur la société d'aujourd'hui, genre la crise, le chômage ou la précarité. Attention : s’abstenir de toutes fioritures. Du mijoté de social, c’est âpre, c’est rêche, faut que ça colle au palais, au réel que ça cherche à décrire ou à dénoncer. Faut que ça fasse engagé, sinon on pourrait ne pas y croire et penser que votre film n’est qu’une flatterie arriviste. Donc pas de musique, pas de jolies lumières, pas de mise en scène sophistiquée, rien. De l’authentique quoi, du lambda. On n’est pas là pour se détendre ou faire de l’art. On parlera alors de "regard sensible", "de justesse de ton", on dira aussi que c’est "sans concessions" et "d’une profonde humilité".
Enlaidissez votre acteur, ça rajoutera du crédit à ce sentiment de véracité tant convoité : pas de maquillage, une affreuse moustache, des fringues moches, pas coiffé(e)… Naturel, comme tous ces gens qui en chient, ont des boulots de merde, dorment dans leur voiture et/ou ont des problèmes de fric. Prenez un acteur bankable (Vincent Lindon, Marion Cotillard…), faites-lui faire la gueule pendant une heure et demi, confrontez-le à des comédiens non-professionnels quasi inexistants, laissez bouillir et attendre le résultat (ovations, son meilleur rôle, un génie, un prix d’interprétation à Cannes pourquoi pas). Ou des acteurs pas encore connus qui, grâce à vous, rafleront un César (Élodie Bouchez, Jalil Lespert, Corinne Masiero…). Faut quand même de la paillette, un peu de glamour dans tout ça. La France d’en bas OK, mais avec de l’allure.
Montrez des scènes ennuyeuses (Lindon dîne en famille, Lindon nettoie ses meubles de cuisine à l’éponge, Lindon répare une porte…) censées dire le quotidien ennuyeux de ce monsieur Tout-le-monde qui encaisse en silence, mais n’apportant rien de concret aux véritables enjeux du film. Un peu de surcharge émotionnelle éventuellement (un fils handicapé, soyez fou), mais sans abuser non plus. Évitez le constat rebattu et les portes ouvertes (administration à la masse, employeurs sans scrupules, système sans pitié, syndicalistes qui ne s’entendent pas, méchante banquière qui, même en connaissant la situation précaire de son client, cherche à lui refourguer une assurance décès ou un crédit plus cher). Filmez comme si c’était un documentaire (caméra qui bouge, naturalisme à fond, personnage de dos si possible), expliquez partout votre démarche altruiste, accusez, souriez, pleurez. Voilà, c’est prêt. Servir tiède.
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