Le c** entre deux chaises et l'esprit troll mauvais qui reste

L'introduction sent le formole (six minutes pendant lesquelles Guitry joue de la lyre à Simon puis présente les autres membres de l'équipe, serrant la main au jeune Louis de Funès), l'ensemble sera balourd. La Poison de Sacha Guitry, avec Michel Simon est une comédie noire pleine de ralentis, sûrement dûs à la morale pour une bonne partie. Le dîner silencieux avec la radio résume bien le mouvement général. Le vieux et sa vieille approchent du tombeau, l'air déglingué et aigres avant d'être tout à fait des vieux. Elle est alcoolique, lui fait part de sa haine à qui peut l'entendre. Une serpillière pleine de fiel et un « mélange de clown et de chimère » charriée par un dégoût dévorant, à en perdre sa vitalité. Chacun souhaite supprimer l'autre, le plus décidé l'emportera avant que l'autre n'ait sorti le bout de sa cuve.


Pendant ce dîner donc, l'opportunité de passer des vains mots à l'acte surgit, colorant différemment cette tranche de vie minable sûrement déjà dix mille fois vécue et digérée. Dans le principe c'est très drôle, mais l'exécution est plus limitée. Guitry prend son sujet avec trop de précautions, tout en essayant de conserver au maximum ce que son postulat a de romanesque. Cela donne un métrage ni trop gouailleur ni trop flambeur, remuant (pour ne pas dire 'choquant') mais modérément. La manœuvre globale reste, fait son ouvrage malicieux, autorise quelques pics outrageuses et inspire des sentences efficaces (« tuer, oui c'est ignoble, mais ça fait vivre tant de monde »). Le monstre inspire un rire jaune, la mise en scène est assez 'plate', Guitry optant pour une légère distance et la sobriété de façade en toutes circonstances. La Poison veut rester une comédie mais on ne peut pas trop plaisanter, doit pas tourner en ridicule cette perspective sinistre ni sympathiser avec la déchéance ; ou plutôt, pas trop vite, puis finalement en y allant doucement dans l'euphorie.


Le plus clair du métrage tient donc du sous-drame déguisé en grosse farce laconique (quelques prononciations ou impudences de la part de Simon et sa femme, le verbiage outrageux de la grosse mercière). Le film est plus stimulant en ce qu'il fait participer le spectateur à la supercherie, en le mettant aux côtés du roublard, seul à partager son savoir contre tous les dupes autour. L'apothéose sur ce point est la séquence où Simon passe chez l'avocat pour lui demander indirectement des conseils sur l'exécution de son ogresse. Le cynisme est déniché partout (les commerçants du village et l'anecdote sur Lisieux) et les garde-fous sont déphasés (les religieux, les juges et la bonne société). Le couple affreux est une version radicale et malheureuse du vice 'vulgaire' qui aurait emporté tout le morceau (le pathétique n'est plus, madame dormant saoule par terre c'est du banal). Cette façon de se focaliser sur des petites gens en pleine dérives (pas trop pauvres ici, plutôt crasseux par le train de vie et spirituellement dévoyés) fait de La Poison le papy de Ex Drummer ou Killer Joe de Friedkin.


Guitry (réalisateur, scénariste, dialoguiste) ne cherche pas à fouiller ses personnages (il laisse en friche des caractères aguicheurs, comme celui de l'avocat) ou à soigner la crédibilité des seconds couteaux. Tout est bientôt absorbé par le trou noir Simon, lequel finit par retrouver sa vitalité une fois la machine lancée – le tribunal sera sa scène, ce qui réduit le pur numéro à peu de choses. Mais à ce moment, il exulte, joue avec le feu et avec sa tête sans perdre de sa nonchalance étrange. Il est au diapason du film dans sa façon de traiter l'horreur : faible intensité, rien qui mette à la hauteur d'affronter le sujet, mais déjà assez de mots et de tours de passe-passe pour avancer vers l’abîme -morale, en détruisant l'empathie (on est à mille lieux de La Vérité de Clouzot - 1960). De quoi faire de ce film un poison discret, souriant, sachant subtilement balayer les sermons et taire les inhibitions (pour en venir à un 'happy end' immoral) ; par le charme et les façons, jamais via la confrontation. C'était déjà patent dans Les neuf célibataires, mais l'heure et les faits étaient moins graves. Le remake (Un crime au paradis) sera d'une autre nature : beaucoup plus gentil, avec le brave Villeret à la place du démon Simon, des caractères de bons petits et la harpie Balasko bien en relief.


https://zogarok.wordpress.com/

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le 11 sept. 2016

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