Le générique d’ouverture de La Poison reprend une idée que Guitry avait déjà eue pour Le Roman d’un tricheur, où il intervient pour présenter son équipe, mais qu’il développe en apparaissant à l’écran, prenant son temps afin de faire l’éloge de ses comédiens et techniciens. Comme toujours chez le fin lettré, le double-fond est de mise : ces louanges accordées à la comédie et au règne du faux introduisent à merveille le thème du récit lui-même, dans lequel la mascarade deviendra particulièrement acide.


Le récit s’attache ainsi à la double préméditation d’un meurtre par un couple confit dans la haine, dans une France profonde des années 50 qui semble résumer à elle-seule tout le XXème siècle, où l’on s’inquiète du manque d’attractivité de la commune, on demande encore des conseils conjugaux au curé et les potins alimentent l’actualité locale. L’aide extérieure semble nécessaire pour régler la situation : le comité communal demande si l’on ne pourrait pas inventer un miracle pour attirer les touristes, tandis qu’un avocat brillant passe à la radio et se vante de ses succès, inspirant le mari rageux pour la méthode à venir.


Le regard est donc à la fois satirique et glacial, et l’on ne joue plus sur la fantaisie d’avant-guerre, où Guitry se moquait gentiment de tout et transformait les destinées en des jeux pétillants. L’intelligence de son écriture se met au service d’un plan savamment élaboré, par lequel le mari (Michel Simon, impeccable, qui obtint d’ailleurs de Guitry que le film ne soit tourné qu’avec une seule prise par plan) organise son crime en fonction des conseils que lui donne son avocat.
Personne ne sera épargné dans cette fable cruelle, où le crime « fait vivre tout le monde » : chacun y trouve son compte, et le procès de la deuxième partie se révélera un sommet absolu où les masques tombent, mais pour révéler des sourires cyniques. Se découvrant après le meurtre un grand talent d’orateur, l’accusé démontre la nécessité de son acquittement par des arguments qui laissent pantois : il ne pouvait pas tromper sa femme au vu de sa laideur (preuve à l’appui en faisant circuler un cliché du morceau), et, dans la mesure où elle avait empoisonné son vin, s’est sauvé la vie en la tuant.


Guitry prolongera la satire jusqu’aux coulisses les plus innocentes de son village, à travers le groupe des enfants qui, comme il se doit, s’éduque à la lumière de ces événements, se réjouissent du divertissement et construisent une petite guillotine pour anticiper le verdict, à la manière des gamins joyeusement haineux que Verhoeven mettra en scène dans Starship Troopers. Une manière de faire perdurer la flamme de son écriture, même si elle prend désormais les éclats noirs de l’amertume.


(7.5/10)

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le 5 mars 2021

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Sergent_Pepper

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