La Traque
7.5
La Traque

Film de Serge Leroy (1975)

Un pour tous, tous sur une ...

(1975. FR. : La traque
Vu en Blu-Ray, édition Le chat qui fume.)

Un week-end dans le Bocage normand, près d’Alençon. Une jeune professeure à l’université de Caen, Helen Wells (Mimsy Farmer), vient visiter une petite maison perdue dans la campagne, dans le but de venir y passer quelques séjours. A la gare, elle fait la rencontre de Mansart (Jean-Luc Bideau), un futur conseiller général qui gentiment la dépose. En route, ils croisent les frères Danville (Philippe Léotard et Jean-Pierre Marielle). L’un deux drague en vain la jeune femme et chacun reprend son chemin… Les Danville et Mansart vont retrouver des amis pour faire une partie de chasse dans la foulée. Après un repas bien arrosé, la fine équipe part en forêt et se divise pour la chasse. Les Danville et Chamond (Michel Robin) tombent sur Helen qui justement se baladait en forêt… Un viol s’ensuit… Mais il ne s’agira pas du seul crime de cette triste journée d’automne…
Saluons tout d’abord les éditions Le chat qui fume pour la sortie, enfin, de ce film réalisé en 1975… Un film culte assurément, un témoignage d’une époque post 68 où le contrecoup de la percée des libertés se fit durement ressentir. Citons pêle-mêle quelques classiques comme Chiens de paille, Délivrance, I spit on your grave, La dernière maison sur la gauche et son pendant italien Le dernier train de la nuit, ou encore Dupont Lajoie de Boisset sorti en 1975. Des longs-métrages peu amènes, violents, provocateurs tapant pêle-mêle sur les bourgeois, une jeunesse dégénérée, les campagnards, les racistes…
Le portrait au vitriol des notables de province selon Serge Leroy nous fera aussi penser aux films de Claude Chabrol, grand pourfendeur de la bourgeoisie provinciale (Que la bête meure, Noces rouges, Le boucher…). D'ailleurs la force de La traque réside justement dans le fait que l'on ne s'enfonce pas totalement dans le registre Bis, dans le voyeurisme ou la violence gratuite; le réalisateur préférant plutôt nous choquer sur le fond que sur la forme. Le viol reste évidemment une scène traumatisante, mais Leroy ne va pas trop loin dans la démonstration, au contraire des bobines précitées. Au-delà du crime, ce sont bien les mécanismes de la réaction en chaîne qui sont auscultés, autopsiés ici.
Il s’agit de mon premier Serge Leroy, réalisateur désormais oublié. Notons qu’il est ici accompagné de Claude Renoir, neveu et collaborateur de Jean Renoir, à la photographie. Difficile donc de ne pas songer à La règle du jeu, jeu de massacres sur fond de partie de chasse justement. En tout cas, l’image du film est parfaite pour ce film quasi naturaliste, dont le tournage se déroule pratiquement qu’en extérieur, forêts et marécages de Normandie (en fait, le film fut tourné aux alentours de Beaumont-sur-Oise et dans le Loir-et-Cher… une grosse déception pour moi qui suis originaire du Bocage normand !).
Bien aidé par son décor naturel, Serge Leroy signe un film âpre et sans concessions. La sublime musique de Giancarlo Chiaramello n’est par exemple seulement utilisée lors de deux génériques. Ce qui est bien dommage dans un sens (j’adore les musiques de films !) …mais dans un autre sens cela renforce la traque en elle-même, et empêche la distanciation du spectateur, impliqué malgré lui dans cette chasse sordide. Le film repose ainsi sur les épaules de ses acteurs, et quels acteurs ! Tous sont excellents, d’un tel réalisme, d’une telle simplicité, d’une telle « beaufitude » qu’on se croirait par moments perdus dans un reportage de « Très chasse » !
Citons l’excellente composition de la si belle Mimsy Farmer (More, 4 mouches de velours gris, Deux hommes dans la ville…), impeccable dans ce registre avec son visage de bambin. Seul et unique personnage positif, elle est la victime, la bête traquée, l’animal blessé rendu fou par la peur et la douleur, sentant la mort venir et mettant toutes ses forces dans la bataille pour en réchapper. Une course et une résistance folles qui impressionneront même nos veules et lâches « héros ». Au-delà, Helen Wells symbolise ici la jeunesse, la ville, une certaine libération (années 68’s) alors que les chasseurs représentent d’autres items : notables héréditaires, campagne, quinquagénaires, anciens militaires.
Le reste du casting est tout simplement génial ! Michael Lonsdale en riche propriétaire terrien (Moonraker, Section spéciale, Des hommes et des dieux...), Jean-Luc Bideau en figure politique locale (H, Etat de siège, Le convoi de la peur...), Paul Crauchet (L'armée des ombres, La piscine, Les aventuriers...), notaire et ancien résistant, Michel Robin en assureur timide (Un sac de billes, Rabbi Jacob, Amélie Poulain...), Michel Constantin, ancien militaire et concessionnaire auto (Le trou, Les grandes gueules, La cité de la violence...), Gérard Darrieu en garde-chasse (Les barbouzes, Z, Le professionnel...), Philippe Léotard (La balance, French Connection 2...) et Jean-Pierre Marielle (Tous les matins du monde, 4 mouches de velours gris, La controverse de Valladolid...) en frères ferrailleurs, trublions et trouble-fête. Une bande d'amis, liés par des intérêts politiques (Bideau a besoin de Lonsdale pour les élections, ce qui ne l'empêche pas de coucher avec sa femme!), ou judiciaires (les Danville ont maquillé une voiture de Lonsdale après un « accident » ; Darrieu aurait des tendances pédophiles restées sous silence). Sans oublier les différents petits arrangements qu'on peut faire quand on a des assureurs, notaires, militaires parmi ses relations !
Cette petite société provinciale au-dessus de tout soupçon est superbement dépeinte. Le fameux esprit d'équipe, de groupe, quasiment au sens militaire, sera appliqué malgré les désaccords et hypocrisies. Ainsi, loin d'une facile caricature, Leroy donne beaucoup de profondeur à ses chasseurs, qui s'ils seront au final tous des monstres, ont à la base des valeurs et comportements très variés. Et chacun subira une métamorphose (Crauchet qui semble détester ses potes sera finalement le métronome de la traque ; au contraire Léotard, le violeur, une fois son forfait accompli apparaîtra le plus humain, le moins vindicatif...etc...). On songe à la chanson Le pluriel de Brassens, où tonton Georges nous rappelle qu'à partir d'un certain nombre, on est obligatoirement une bande de cons... L'un entraînant l'autre...
Un très bon film français que je vous recommande, un grand film d'acteurs lorgnant vers la série B pour terminer en véritable drame social, avec une fin aussi glaçante que les marais en automne dans le bocage normand...
Petite vidéo pour entendre la somptueuse mélodie de Chiaramello : https://www.youtube.com/watch?v=FQAYgqzL9Aw&list=PLNyAif3p_RYCAgZVoGZOORj3h6pX9gRgO

SB17
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le 31 janv. 2021

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