En passant derrière la caméra, Greta Gerwig se retrouve face à un joli défi : passer le relais pour que le charme propre à sa galerie si typée de personnages, de Frances Ha à Mistress America opère encore. Par l’exploration d’un passé apparemment très autobiographique, elle se permet en outre une cure de jouvence : la voilà dans sa version adolescente, en 2002, dans un de ces trous des USA, rêvant d’un ailleurs difficilement accessible.
Lady Bird n’apportera rien de singulier à toutes les thématiques de circonstances sur pareil sujet : le bal de promo, les disputes avec la famille, l’amitié, les déceptions et les désillusions venant brimer les élans vers une liberté dont on a encore du mal à dessiner les contours. Rien ne manque au tableau, et le récit se borne à un état des lieux de cette phase structurante qu’est l’émancipation d’une enfant devenant maladroitement une femme.
Mais c’est précisément dans cette thématique de la transition que se joue la réussite du film : si Christine se rebaptise Lady Bird, c’est pour échapper à la médiocrité générale qui l’étouffe, et qui gangrène tout le récit : chaque marche franchie aboutit à une assez minable désillusion, et le mensonge règne en maître pour cacher qui l’on est : un jeune homosexuel, une fille pauvre, un poète faussement vierge, une mère aimante. Cette maladresse généralisée pouvait faire pencher la balance vers le misérabilisme, mais il n’en sera rien. Car de cette demoiselle oiseau, la narration adopte la légèreté, fuyant les pesanteurs du pathos avec un sens inné de l'équilibre. Ainsi des scènes les plus attendues de ce récit initiatique, qui se présentent toujours à la dérobée, et se diluent dans un rythme qui fait la part belle aux sommaires (des répétitions de comédie musicale, de la complicité des deux amies, ou des cours) : Lady Bird est une tranche de vie dans laquelle prime une force d’authenticité dénuée de sommets lyriques.
D’où cette place ambivalente accordée à l’originalité : Lady Bird campée par une Saoirse Ronan épatante, est certes un personnage à la marge, mais Gerwig ne fait pas de ce décalage une finalité : la normalité qui l’entoure, souvent elle-même en devenir, n’est pas tant un lieu à fuir qu’un univers à comprendre. Dès lors, cette expérience fondée sur les déceptions et les malentendus peut jouer sur des montagnes russes, parfaitement synthétisée par la relation tumultueuse à la mère, personnage aussi insupportable qu’indispensable à sa fille.
La quête de Lady Bird est donc celle de l’apprentissage de la vérité, - et non de la norme, concept lui-même galvaudé par la violence banale du monde. Retrouver son nom, arracher les masques, partir, en somme, pour comprendre d’où l’on vient. Et accepter, avec l’ébauche d’un sourire, que l’imperfection est de ce monde.