“On ne peut jamais tourner une page de sa vie sans que s'y accroche une certaine nostalgie.”

Citation de Eve Belisle


On était moins de 10 dans la salle, et si vous voulez savoir c’était vendredi soir, 18h30. Comment c’est possible qu’un réalisateur comme Edgar Wright prenne moins de 1000 notes la veille de son premier week-end là ou des majors dépassent largement le barre en 3 jours ? C’est d’autant plus frustrant que ça fait plus de 16 ans avec Shaun of the Dead qu’Edgar Wright a prouvé son statut de réalisateur incontournable et de cas d’or de sa génération, si ce n’est le meilleur. Alors je pourrais me plaindre des diffuseurs français, des directeurs de communication, des critiques qui le délaissent notamment pour The French Dispatch (loin de moi l’idée de dénigrer le travail d’Anderson, juste la mauvaise impression que le travail de Wright est laissé pour contre) vois même des spectateurs français plus enjoués de la venu d’un petit Nicloas 3 qui s’annonce tout à fait médiocre que du meilleur film d’horreur Anglais jamais réalisé depuis ses 30 dernières année. Mais ma maigre influence n’ayant, à mon plus grand chagrin, aucun impacte sur le box office mondial, je vais essayer de participer à mon échelle et t’expliquer à toi, petit lecteur égaré, pourquoi The Last Night in Soho est un film brillant (je préviendrai quand je spoilerai).


Un Millimétré accessible, c’est la première chose qui me vient en tête quand on me demande de décrire la réalisation d’Edgar Wright. Le “accessible” est selon moi crucial, car on a déjà vu une telle rigueur de travail plusieurs fois, mais par exemple là où un Nolan la met au service d’un certain grandiose, et James Gunn l’utilise pour son spectacle, Wright a toujours su utiliser son talent pour le message qu’il essaie de faire transparaître aux spectateurs. Depuis Shaun of the Dead, Edgar Wright a pour habitude de faire porter son film par son sujet, et non l’inverse, ce qui le rend évident, pour que même le spectateur le plus jeune, le plus inattentif ou le plus néophyte puisse comprendre. Mais ça ne veut pas dire qu’il délaisse l’aspect filmique pour autant, bien au contraire. Wright est un cinéaste cinéphile, un touche à tout qui sait parfaitement introduire son sujet dans une réalité cinématographique autant pour la sublimer que pour la remettre en question. Et c’est assez dingue de voir que hormis un dernier pub avant la fin du monde moins accessible, ce que fait Wright fonctionne, fonctionne même sans réelles fausses notes.


Ici Wright nous parle, à travers cet hommage aux films des années 60, de nostalgie, et c’est brillant. Si on a l’habitude de voir un ordre politique où culturel être remis en cause dans le cinéma, ce n’est que trop rare fois le cas de la nostalgie, qui est même souvent bienvenue et utilisée comme outil marketing. C’est d’autant plus fort que ce thème se crée en opposition de son exécution (un film hommage aux années 60 jouant forcément sur la nostalgie) mais également de son héroïne baignée dans l’époque dans laquelle a grandi sa mère. Sans être non plus une critique sociale, on peut voir la différence de traitement entre la ville dépensière et à la mode et la campagne pauvre avec son temps de retard. La façon dont, Wright a pensé la peur dans Last Night in Soho est celle prédominante dans l’horreur Européenne : le rattachement au réel. L’horreur a ainsi un sens de prévention, et non pas jouissif comme le serait la majorité des films d’horreur de cette ampleur. Et ça marche d’autant plus que je crois en ce monde, je crois en ces acteurs : j’ai voulu suivre l’histoire d’Eloise dès les premières secondes de son introduction musicale, et surtout j’ai eu peur pour elle grâce au talent incontestable de Thomasin. Tout comme j’ai aimé/détesté Sandie, Jack, Madame Collins et tous les autres, parce qu’on y croit, Last Night in Soho nous embarque entre surnaturel et réalité, rêve et réel, horreur et joie dans un spectacle plus que jamais sans fausses notes. Si vous n’avez pas vu Last Night in Soho, foncez, parce que plus qu’un bon film d’horreur, c’est sans doute l’une des meilleures expériences cinématographiques que vous aurez l’occasion de voir.


Début de la partie pour ceux qui ont vu le film


Je l’ai déjà dit plutôt, mais j’aime la façon dont Edgar Wright gère sa réalisation. Lors de son introduction, il instaure les visions d’Eloise sans en faire un élément horrifique, bien au contraire, celle-ci est relativement apaisante, cela constitue un des premiers pièges du film, qui passe comme une lettre à la poste, la perception du spectateur est troublée car liée à celle de sa protagoniste mentalement bancale, ce qui rentre ici dans la suspension consentie d’incrédulité, il va en plus limiter la perception que l’on a de l’isolation que va vivre Eloise car on ne voit à l’écran que ses interactions (souvent à son avantage) et on oublie vite cette scène métaphorique complètement surréaliste d’une jeune femme essayant de s’endormir...au milieu d’une soirée pour ado. Le film nous amène à penser que les rêves servent de soutiens..mais c’est faux, Eloise n’est qu’une gamine instable seule...ça ne pouvait juste pas bien finir, et ce n’est pas les quelques discussions éparses avec son ersatz de petit ami qui va changer grand-chose. Ce qui nous fait croire en l’inverse c’est tout l’artifice qu’ont créé le réalisateur et son actrice autour du personnage, qui nous pousse coûte que coûte à croire en elle, à voir à travers elle, à penser qu’elle pourra gérer la situation, mais comme dit précédemment, ce n’est qu’un artifice. Et c’est sur ce pari (à la fois risqué et ambitieux) que se repose toute la première partie du film, c’est pour ça que l’horreur tarde à arriver, on nous fait croire que son héroïne trouve la solution à ses problèmes dans la nostalgie. J’aime cependant beaucoup les signaux d’alerte que montre la réalisation quant à ce statut quo, dont un en particulier : lors de sa première nuit, on voit une succession de trois références à la France (nom du restaurant, pancarte, lumière tricolore), mais la dernière est bancale, les lumière ne passent pas dans l’ordre bleu-blanc-rouge mais bleu-rouge-blanc. C’est ce genre de tous petits détails qui font toute la différence et qui donne à la narration quelque chose d’exceptionnelle.


C’est à ce moment, une fois qu’on se sent protéger, protéger des chauffeur de taxi pervers, des collègues aux langues de vipères et plus généralement du monde moderne, que le film joue sa carte maîtresse en installant un turn over (je ne sais pas si ça s’appelle vraiment comme ça, je n’ai fait aucune étude qui touche de près où de loin au cinéma mais vu que je me me rappelle qu’à un moment Inthepanda appelle ça un turn over, ben je vais faire comme lui) qui vient renverser totalement la situation, ce n’est plus Eloise qui essaie de s’échapper de l’horreur du présent dans le passé, mais cette même Eloise mentalement au plus bas qui tente tant bien que mal de se détacher du passé en vivant dans le présent. La première scène de la désillusion est d’ailleurs ironique, elle se passe dans une scène qui transpire le malaise, elle qui dominait le gérant lors de sa première apparition se retrouve ici objectifiée et humiliée, mais surtout l’action se pass sur une scène, littéralement, comme si c’était du faux, alors qu’au contraire cela n’a jamais été aussi vrai. On peut dire que c’est à partir de ce moment qu’Eloise va passer d’une admirassion sans failles à une compassion surdimensionnée.
Ce turn over (où chambard si on veut rester français) est ponctué de 3 twists qui ne devraient pas fonctionner car beaucoup trop chamboulant au niveau du rythme voir lassant vis à vis de l’histoire, et c’est là qu’on va parler de la narration. Chacun de ses twists est une vraie révélation, qui marque le spectateur mais dont il s’accommode rapidement, grâce d’une part, à la modification de la perception établie depuis la scène d’intro et des rêve et d’autre part avec à tous ces fameux détails qui aurait du nous conduire à ce raisonnement si on avait daigné sortir des railles moelleuse sur lesquelles nous a mis l’intrigue.


Le premier de ces twist est sans doute le plus impactant car c’est un des meilleurs Jumpscare du cinéma, tant il est brutale ; malgré une désillusion déjà effectuée (enfin au début) en amont, Eloise restait protégée par la séparation temporelle, elle voyait les horreurs mais n’interagissait pas avec, cette main et surtout cette ligne de texte (de ce que je me rappelle : non, tu n’es pas encore réveillée) c’est le vrai début du cauchemar pour le spectateur et Eloise ; les indices sont ici visibles, ce sont toutes les interactions d’Eloise dans ces rêves, de la vitre brisée, à ses hurlement en passant par la supposition qu’elle est vue par Jack dans la loge. Le deuxième twist est celui du flic, assez inattendue car on est scotché sur la technique de l’enregistreur, qu’on s’attend foireuse là où il a toujours été évident (notamment de part sa scène d’introduction) que c’était Jack, j’avoue ne pas avoir fait attention aux éléments qui nous permettaient de le deviner à l’avance, hormis la blessure de Jack à la main. Le troisième twist est bien sûr la révélation de Madame Collins, qui offre beaucoup d’indice (la non présence d’homme chez elle, ou son peut de réaction lorsque Eloise ramène John chez elle), c’est ici dévié par le fait qu’on s’attend à voir les hommes sans visages intervenir, on ne s’attend pas à ce qu’un autre antagoniste fasse son apparition.


J’aimerai finir (même si on pourrait encore dire tellement de choses) en parlant de la façon dont Edgar Wright a intégré son horreur et plus généralement son thème. Alors je l’ai déjà dit plus tôt, mais on parle ici de la mort de la nostalgie dont on se sert pour se créer une certaine protection vis à vis du monde extérieur, qui se retrouve ici balayé par le réel de cette même époque, les mêmes pervers, les mêmes fêtes étouffante, les mêmes misogynes...les deux époques au début réalisées en opposition finissent par se rejoindre dans la même horreur. La nostalgie en tant que refuge n’est qu’un piège dont il faut sortir, ici symbolisé par la chambre style années 60 d’Eloise (lieu de sécurité, échappatoire nécessaire) qui malgré des aspects bénéfiques en cour terme, se montre tout aussi amoral que le présent (il renferme le mal, Mrs Collins) il faut donc s’en débarrasser (ici la maison brûle en même temps que les rêves d’Eloise). En faisant de Thomasin une spectatrice comme nous de cette peur (dans un degré plus élevé je l’accorde) le film crée une mise en abyme. Ça permet à Wright d’affirmer cette peur. D’ailleurs, n’avez-vous pas remarqué d’à quel point l’historie semble réel ? Je veux dire, à part les scènes d’hallucinations qui apparaissent anecdotiques dès le deuxième arc, on se base surtout sur les syndrome post traumatique d’un viol, car on peut selon moi dire qu’Eloise vit ces viols tant elle a toujours tout fait pour vivre comme Sandie. Le but de Wright n’est pas de nous marqué temporairement avec du grand spectacle pour provoqué mais bien sur la longueur. Cet position fortement réaliste est assez paradoxale quand on la sait couplée à une réalisation qui joue sur la perception, et pourtant elle fonctionne. Le moment qui selon moi l’illustre le mieux estb sans doute la dernière apparition des sans visages, qui cherchent à se venger, on ne sait pas vraiment qui de Sandi ou d’Eloise voit la scène, mais on sait qu’Eloise compatie à la détresse de Sandie sans non plus lui pardonner. Il n’y a pas de belle princesse en détresse ni d’âmes perdues, tous ici, y compris Eloise, sont relativement mauvais, ou fous, aucun d’entre eux ne peut prétendre à toute forme de bonheur où de rédemption, et même si Eloise y parvient, l’évènement la consumera avec les années tout comme Sandie, quand on voit à quel point elle est compatissante et impactable.


La scène de fin de Last Night in Soho nous offre 2 possibilités suivant la perception qu’on choisit, les deux étant intéressante, la première est que cette dernière scène est réelle, tout est bien qui finitbien, vis à vis de sa mère notamment, si ce n’est que la nostalgie ne quittera jamais Eloise, comme elle ne pourra jamais nous quitter, il faut savoir la maîtriser. La deuxième, est que c’est encore une hallucination d’Eloise, c’est notamment sous entendu par la blessure de Jonh inexistante là ou celle à la main d’Eloise est toujours présente alors que beaucoup moins grave ainsi que le comportement de Jocasta complètement irréaliste. Celle-ci nous dit qu’Eloise a perdu donc, de nouveau piégé dans un refuge, refuge encore marqué par la nostalgie au vu des tenus et de la présence de Sandie, un dernier souffle d’horreur, qui ne sera ressenti que par les spectateurs les plus attentifs.

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le 1 nov. 2021

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Lordlyonor

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