Ah ça ! Pour ce qui est du talent, Edgar Wright n’a plus à me convaincre…
Plus il enchaine les films et plus il démontre son savoir-faire.
Les seules premières minutes de ce Last Night In Soho ont suffi d’ailleurs à me confirmer son haut niveau de maîtrise.
Pour introduire ses personnages, son background, ses enjeux, l’Anglais sollicite toutes les techniques avec un art consommé de l’ajustement.
Il sait multiplier les effets de mises en scène pour dire l’essentiel sans faute de rythme ni faute de ton : l’entrée en contrejour de l’héroïne, sa gestuelle mécanique en robe de papier, puis le disque qui raye, le reflet de la mère, la mise-en-garde de la grand-mère, puis l’arrivée brutale à Londres révélant brutalement toute la rupture d’esprit, de temps et d’espace…
Rien n’est de trop, rien ne manque. C’est dense sans être lourd. C’est élancé sans être précipité. Les ellipses tombent aux bons moments ; sachant garantir dynamique sans perdition essentielle…
…A ce jeu-là, difficile d’oublier qu’avant ce film, le bon Edgar était préalablement passé par Baby Driver, un film un brin ampoulé certes, mais à la musicalité cohérente et métrique à n’en pas douter.
Donc oui – une fois de plus et sans surprise – Last Night in Soho se présente à nous comme un film fouillé, réfléchi, cohérent… Ne restait plus qu’à savoir si, pour cette fois-ci, si le talentueux Mister Wright allait à nouveau nous resservir une de ses désormais traditionnelles pantalonnades pour grand gamin dont il a le secret mais dont on commence tous à connaître la recette ou bien si – pour cette fois-ci – il s’était enfin décidé à passer à autre chose…
…Et j’entends par là « passer à l’étape supérieure ».
Or, je dois bien l’avouer, pendant un bon tiers j’y ai cru.
Pour une fois, les habituels codes de genre se délitant en farce semblaient remisés au placard. Dans ce premier tiers, Wright paraissait bien déterminé à mettre tout son art et toute son épaisseur narrative au service de quelque-chose de plus ambitieux, de plus sensoriel… Voire peut-être même de plus expérimental.
Ayant l’audace de s’aventurer assez rapidement sur des terrains pourtant scabreux, Wright en retire une proposition intéressante parce que riche et ambiguë. Entre choc des périodes, choc des espaces, choc des cultures, l’auteur anglais peint un quartier de Soho avec une multitude de couches qui se superposent et qu’il est difficile de réduire qu’en un seul trait général.
Le tourbillon dans lequel est pris le personnage principal d’Ellie est un mélange d’innocence percutée, d’épanouissement désabusé, de tiraillement précaire entre désir de réaliser ses rêves et tentation d’y sombrer ; tout ça s’emmêlant dans un monde de superficialité, de binch drinking, de gentrification, de culture toxique, d’angoisse et de vulnérabilité(s).
Et pendant ce bon tiers donc, ce Last Night in Soho est parvenu à abattre ses cartes avec assurance et audace, suffisamment clair pour être compris, mais suffisamment enjôleur pour ne pas être trop insistant…
…La mécanique Wright était partie pour me faire progressivement sombrer de plus en plus profond dans la nuit de Soho…
Seulement voilà, l’ami Wright a beau approcher la cinquantaine maintenant que, visiblement, il n’a pas toujours pas su quitter le gamin qu’il n’a jamais cessé d’être.
Gamin talentueux certes. Gamin espiègle, amuseur et amusant j’en conviens… Mais gamin tout de même.
Et croyez-moi je ne dis pas ça par simple plaisir du bon mot et la jouissance narcissique d’adopter la position facile du critique face à celle ô combien plus difficile de l’artiste. Non.
J’aime Edgar Wright et plus que ça j’aime son cinéma. Or c’est justement ça qui m’attriste le plus dans le bilan que je tire de ce film et du qualificatif qui a fini par s’imposer dans mon esprit au point qu’aucun autre n’ait su s’y substituer : ce qualificatif de « gamin ».
Bah oui, « gamin », parce qu’à bien tout prendre je n’arrive pas à formuler autrement la tournure finale de ce film que par le mot de « gaminerie ».
« Gaminerie » à vouloir absolument se raccrocher à des codes d’un cinéma de genre spécifique au point d’oublier tous les autres, quitte à appauvrir l’ensemble.
« Gaminerie » à vouloir absolument tout expliquer, verbaliser et montrer qu’on avait pensé à chaque aspect de l’intrigue depuis le départ, quitte à ce que ça sombre dans le ridicule.
Et puis « gaminerie » enfin à replonger aussi platement dans les clichés et autres facilités du genre…
Le pire c’est que je suis persuadé que Wright a jugé qu’il rendait son film plus riche et plus fort en en faisant cet immense maelstrom narratif horrifico-fantastico-policier.
Je suis même convaincu qu’à ces yeux, toute cette audace qui a consisté à vouloir donner du sens et une raison à tout n’a pu que participer à le rendre plus intense…
Et s’il m’apparait évident que par ses choix Wright saura sûrement satisfaire celles et ceux qui, à la fin d’un film, aiment bien retomber dans leurs certitudes bien rassurantes, le fait est que, pour des spectateurs comme moi, je ne peux m’empêcher d’y voir une trop belle occasion de loupée. Un potentiel chef d’œuvre qui s’éloigne…
Parce qu’en recentrant aussi crument son intrigue sur les codes basiques du genre fantastique et policier, Wright a ainsi évacué par la même toute l’ambigüité – et donc par là même toute la force suggestive – de sa mise-en-scène.
Bye-bye explorations traumatiques d’angoisses et de confusions et coucou teenage movie aux antagonismes grossiers et aux enjeux émotionnels basiques.
Alors oui, ça peut plaire, j’entends bien.
Mais Wright ne nous avait pas-t-il déjà – dans un autre genre – plus ou moins fait ce cinéma-là ?
…A moins que ce ne soient d’autres auteurs qui aient déjà fait ce cinéma-là… Par centaines.
Ce gars avait clairement la possibilité de faire de ce Last Night in Soho une œuvre dérangeante et marquante qui sache coller à l’esprit durant des années, mais à la place il a donc préféré faire un bel objet de distraction qu’on pourrait se revoir lors d’une soirée entre potes autour de pop-corns et de « bonnes » bières…
(…Et j’insiste sur le « bonnes » car, dans ce film, la politique des placements de produits a fait de Soho le pire endroit sur Terre où picoler.)
Donc bon, à défaut d’avoir plus, je prends.
Je me raccroche au premier tiers. Je me raccroche au remarquable trio d’actrices. Je me raccroche à la maestria formelle.
Alors oui, je ne boude pas le plaisir que peut procurer ce Last Night in Soho…
…Mais je regrette que pour cette fois, le gamin Wright n’ait pas cherché à viser plus haut.