Fade Astra
Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...
le 20 sept. 2019
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Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que Stanley Kubrick, Andreï Tarkovski, Ridley Scott, Danny Boyle, Alfonso Cuaron ou bien encore Christopher Nolan. Autant de noms prestigieux – décriés parfois – pour qui ce passage à travers cette immensité infinie a été une sorte de révélateur ; presque une profession de foi. Parce qu’oui, faire un film qui s’aventure dans l’espace c’est se livrer à un regard sur une certaine forme d’absolu ; c’est avoir l’audace (et parfois l’humilité) de prendre de la hauteur et de tout remettre en perspective. Oui, faire un film dans l’espace n’a rien d’anodin ni de léger car – y aller pour d’autres raisons que le grand spectacle – c’est y aller pour poser des questions essentielles. Existentielles. Or, au vu du titre et du pitch posés par cet « Ad Astra », il apparait assez évident que James Gray n’est clairement pas venu s’aventurer dans l’espace pour le seul grand spectacle…
Pourtant – et cela à mon grand étonnement – « Ad Astra » peine dans un premier temps à s’imposer comme un film qui a quelque-chose à dire. Beaucoup de parlottes, de voix off et d’exposition pour en fin de compte peu de chose. Le rapport au père. C’est tout. Et pendant ce temps là peu de stimulation sensorielle. Certes, la scène d’intro n’est pas hideuse, mais elle a ce coté synthétique et sensationnaliste qui la classe parmi les scènes standards vues déjà de nombreuses fois ailleurs. A dire vrai je trouve ça même dingue que, de toute la première demi-heure, je n’ai retenu que cette scène là. Enfin celle-là et celle des rovers sur la lune. Deux scènes spectacles qui auraient pu être réalisées par n’importe quel faiseur pas trop manchot. Mais par contre, pour le reste : c’est morne. Plat. Sans réel intérêt. Alors du coup, à défaut de sentir on écoute. Et moi, personnellement, je n’ai vraiment pas trouvé de réel intérêt dans ce que j’ai écouté. Un début de vide intersidéral qui n’a pas été sans me gêner…
Et puis est venu le temps du paradoxe. Paradoxe face au plaisir qui commençait à s’installer. Petit à petit...
(du départ de la Lune jusqu’au départ de Mars)
...j’ai fini par me laisser prendre. Quelques décors singuliers ou marquants. Des expériences visuelles. Un mystère savamment entretenu. J’étais dedans et j’avais envie d’aller jusqu’au bout. Et pourtant il y avait quelque-chose de singulier dans ce plaisir que je ressentais. Je savais que ce qui me happait c’était une promesse de résolution qui n’avait rien à voir avec la démarche d’un James Gray. Moi j’étais en train de me hyper sur de la réflexion, du cheminement et du sens alors que l’auteur de « Little Odessa » et de « La nuit nous appartient » n’a clairement rien à voir avec tout ça. James Gray c’est avant tout un cinéaste de la mélancolie ; de la lutte vaine ; des illusions joyeuses qui sombrent dans la noirceur du cynisme. Je savais au fond de moi que quelque-chose ne collait pas. Et effectivement. Il a suffi que le héros décolle pour sa destination finale pour que tout finisse par rentrer dans le rang et – me concernant – dans l’ennui.
A croire que dans ce jeu d’écriture à quatre mains, James Gray avait laissé le manche à Ethan Gross le temps des péripéties avant de le reprendre pour conduire le final. Arrivé sur le Projet Lima soudain le film se souvient qu’il avait un propos à développer mais oublie au même moment qu’il avait une intrigue à résoudre.
Ainsi la question des surtensions de Neptune est-elle évacuée en trois coups de cuillère à pot. On nous dit que l’équipage a paniqué et que ça a entrainé une fusion nucléaire. Mais de quel appareil parle-t-on ? Du gros truc bleu au sommet de la station ? Dois-je déduire que c’est l’antenne qui permettait de CAPTER des signaux aliens qui s’est soudainement retrouvée à EMETTRE des signaux radioactifs ciblés sur la Terre ? Ces mêmes signaux qui gagnent en intensité en se rapprochant de sa cible au point de risquer d’éradiquer toute vie dans tout le système solaire ? Oui parce que bon – désolé de le rappeler James – mais tu commences un petit peu ton film là-dessus : sur l’idée que la Terre est prise pour cible. Tu montres même un petit schéma pour nous expliquer ça. Dois-je comprendre que c’était une petite astuce de scénario pour nous tenir en haleine ? Pour nous faire croire qu’il y avait un mystère à résoudre de ce côté-ci ? Que l’intrigue était plus riche qu’elle ne l’était vraiment ?
Ce qu’il y a de terrible avec ce final, c’est qu’il évacue tout ce qui ne l’intéresse pas par le sas. Et avec l’intrigue, c’est aussi la vraisemblance qui s’est retrouvée aspirée.
Ainsi on rentre dans des navettes par des petites portes dérobées situées au niveau des réacteurs. On traverse un système solaire où, visiblement, toutes les planètes sont alignées. On se fait happer par la force de gravitation de Neptune au point qu’on tombe comme une pierre dès qu’on lâche la station spatiale à laquelle on est accroché… pendant que cette même station reste quant à elle en orbite géostationnaire sans sourciller. On prend de grandes impulsions à la force de ses jambes pour rejoindre son vaisseau mais, quand on percute une ceinture d’astéroïdes, ces astéroïdes ne font pas dévier de la trajectoire initiale. Des fois on utilise le jetpack parce que ça arrange, mais d’autre fois on oublie de le faire, notamment au moment où il faut se délester tragiquement de papounet (Se délester ? Dans l’espace ? Vous êtes sûrs ?) Et puis enfin, on accomplit 4,5 milliards de kilomètres le temps d’un évanouissement, tout cela grâce à la poussée d’une explosion atomique qui, visiblement, n’empêche pas au pilote automatique de garder un parfait contrôle de la trajectoire jusqu’à la Terre… Bah voyons…
Ne reste donc au final qu’un propos pratiquement épuré de tout le reste, ce qui constitue un retournement presque ubuesque pour ce film qui, après avoir passé presque deux heures à esquiver ce qu’il avait annoncé, finit par y retourner brutalement, bennant au passage l’essentiel de ce qu’il avait mis en place dans le but de nous divertir en attendant. Et tout ça pour quoi en fin de compte ? Tout ça juste pour nous raconter l’histoire d’une fuite en avant. D’une peur du vide. D’une peur de la mort qui amène à un évitement de la vie…
Alors soit. Moi d’un côté j’ai envie de dire « pourquoi pas ». Cette thématique – je ne vais pas cracher dessus – je l’adore. Et au fond ce qu’en dit James Gray colle assez bien à ce qui se dégage généralement de ces épopées spatiales essentialistes.
Ici Roy et Cliff incarnent tous les deux le revers d’une même pièce. Deux hommes qui partent explorer l’espace dans le but de combler un vide de leur existence. Le fils avait besoin d’un père. Le père avait besoin d’un « au-delà ». Tous les deux ont suivi une chimère. Pas d’au-delà pour le père. Au final il n’y a rien que la mort. Une mort qu’il a tellement voulu fuir qu’au bout du compte c’est de la vie qu’il s’est éloigné. Quant au fils, lui non plus n’a pas obtenu ce qu’il était venu chercher. Lui qui a laissé sa femme de côté pour retrouver celui qui lui manquait. Il pensait en avoir besoin pour s’accomplir. Pour sortir du vide. Mais arrivé au bout de sa quête il se rend compte que c’est sa quête du père qui a généré chez lui tout ce vide. Il aura donc fallu voir ce père, constater son errance et le perdre, pour que Roy puisse enfin s’éveiller à cette vérité. La vie se trouve auprès des vivants. Elle se trouve là où on est depuis le début. Elle n’est pas ailleurs, au bout d’une quête chimérique.
Tout cela est sensé. Assez juste. Je m’y retrouve pleinement. Pourtant, à bien tout prendre, force m’est de constater que je suis resté de glace face à cette conclusion ; voire même face au film tout entier. Et cela au final pour deux principales raisons…
La première raison c’est que j’ai eu du mal à voir une cohérence d’ensemble dans cet « Ad Astra ». Intrigue et propos coexistent sans parvenir à faire un tout uniforme. D’un côté il y a cette épopée spatiale à base d’attaques extra-terrestres supposées, de mystères de l’armée et de péripéties en tous genres...
(attaque de pirates, attaques de militaires, jusqu’à des attaques de singes !)
...Et puis de l’autre il y a ce personnage principal dans l’errance. Un homme noyé dans le vide de son existence ; écrasé par l’étouffante impression de manque. Un homme à la recherche d’une échappatoire, d’une reconnexion au réel, d’un équilibre dans son existence. Les deux démarches sont déroulées côte-à-côte, comme si l’une devait compenser les faiblesses de l’autre. D’un côté l’ennui inhérent au propos semble être compensé par les sauts en parachute, les courses de rover et les combats inter-espèces. De l’autre, le propos du film est ce qui vient justifier toute l’agitation que contiennent ces 124 minutes de spectacle. Et quel lien entre les deux ? Bien peu. Juste des symboles qui tentent de rapprocher la quête illusoire de Roy de celle de l’humanité. Des symboles d’ailleurs pas toujours très fins.
Tour de Babel et purgatoire martien sont ainsi invoqués au service d’une morale finale qui nous explique qu’au-delà de l’humain et de la Terre il n’y a rien. Pour le coup, Darren Aronofsky n’aurait pas dit mieux, ou plutôt pas fait pire…
Et puis à côté de ça - deuxième raison – j’ai aussi eu du mal à voir l’originalité et la pertinence de la proposition de James Gray. Découvrir « Ad Astra » en 2019, c’est le découvrir après « 2001 », après « Sunshine », après « Gravity », après « Interstellar », voire même après « First Man »… Comme je le disais plus haut, James Gray n’est pas le premier auteur à se risquer sur ce terrain de l’exploration spatiale. Or, avec « Ad Astra » j’ai l’impression qu’il n’explore finalement pas grand-chose. Le rapport à Dieu, à la mort, au vide, à la quête de sens : tout cela je l’ai déjà vu ailleurs, et surtout je l’ai déjà vu en mieux. Ce film, je ne peux pas m’empêcher de le percevoir comme un exercice de style – certes avec quelques bonnes fulgurances visuelles en son milieu – mais malgré tout comme un exercice de style au fond peu maitrisé et pas très pertinent.
Alors certes, je ne déteste pas ce film. Loin de là. Seulement voilà, à se risquer sur la voie tracée par les plus grands, on subit malheureusement parfois la plus intraitables des lois : celle des comparaisons.
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le 20 sept. 2019
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