S'il fallait reconnaître à Edgar Wright une qualité, ce serait sa capacité innée à immerger son public dans ses univers, de plus en plus variés au fil de sa filmographie.
Last Night in Soho procède de la même manière pour captiver et entraîner. Comme Baby Driver, il présente son personnage principal en solo pendant une séquence musicale. En le posant en seulement quelques secondes dans son passé, son présent intime et ce qui l'attend immédiatement.
Cette fois-ci, il s'agit d'Ellie, archétype de la petite provinciale un peu godiche et naïve qui rêve de la capitale pour se réaliser... Et se heurte à la réalité un peu je-m'en-foutiste de ses coreligionnaires, leur sourire de façade et leurs moqueries.
Ellie est marginalisée, isolée. Et vendu comme un film d'horreur, on se demande parfois où Last Night in Soho veut nous emmener. Avant de se dire que l'on s'en fiche, après tout, parce que son héroïne nous a été rendue instantanément attachante, comme Baby, comme Shaun, comme Scott et tous les autres personnages nés de l'imagination d'Edgar Wright ou de sa volonté de réinterprétation.
Et puis, peu à peu, Ellie - et le film avec elle - perd contact avec la réalité. Pour le meilleur, quand la plongée dans le rêve se fait via le décor au goût suranné et les couleurs vives du Swinging London, au son d'une bande originale encore une fois diabolique qui donnera envie d'acheter le CD à la sortie de la salle.
Last Night in Soho précipite son personnage dans un jeu de miroirs tout d'abord vertigineux, où l'identification marche à plein régime, où le charme opère dès que la délicieuse Anya Taylor Joy traverse l'écran en forme de double fantasmé, dans un film aux accents curieux de teen movie.
Avant que le cauchemar ne s'installe finalement, de manière foudroyante dans certaines de ses images les plus brutes, en même temps que le miroir aux alouettes ne se brise avec fracas. Le film n'en acquiert que plus de caractère et de force, se muant en une lecture moderne mettant à l'amende, les doigts dans le nez,
des phénomènes oscarisés "féminins et frais" et leurs gros sabots crottés de bien pensance moralisatrice.
Tout simplement parce que le message ne prend jamais le pas sur le film, sa mise en scène, ses personnages ou sa sincérité. Parce qu'il ne relègue jamais dans l'ombre les autres composantes du projet, qui se transforme en véritable hommage au giallo de l'ami Dario ou en variation du thème du voyage dans le temps.
Edgar Wright, lui, est toujours aussi généreux, toujours aussi enthousiaste et communicatif dans son plaisir de faire du cinéma. La première séquence de rêve enchaîne les jolies images, les reflets et leurs tours de magie conférant à Last Night in Soho un aspect spectaculaire ultra plaisant et addictif. L'atmosphère de l'oeuvre, elle, entête et ne relâchera jamais son emprise sur le spectateur.
Au carrefour des thématiques de la mémoire, de l'imaginaire, de la liberté et de la perception, Last Night in Soho fera frissonner de manière tout aussi ludique que brutale en offrant un spectacle enchanteur hanté par de sublimes fantômes.
Behind_the_Mask, neon demon.