Le "law and order" du titre, formule éminemment conservatrice maintes fois reprises, fait avant tout référence, dans le film de Wiseman, au discours que Richard Nixon martela lors de la campagne présidentielle de 1968 aux États-Unis. Le court documentaire (à l'époque où Wiseman pratiquait un travail de montage un peu plus incisif que ce qu'on connaît de lui aujourd'hui) résultant des quelque 400 heures que le documentariste américain passa en compagnie des officiers de police, essentiellement dans des voitures de patrouilles et au gré des situations aléatoires qui survenaient, peut ainsi se voir comme une immersion au sein de l'institution la plus représentative de ce slogan. Dans un style de cinéma direct s'attachant à observer les aspects les plus pragmatiques de la vie quotidienne d'un service de police de Kansas City, dans un quartier à dominante noire mais dont la police reste majoritairement blanche, la démarche d'un Wiseman figure sans doute parmi les plus adaptées qui soient pour adopter le ton et la hauteur adéquats. Cette apparente neutralité, cette subjectivité à peine dissimulée, fonctionnent parfaitement pour réaliser un pareil état des lieux.
Sans doute plus encore que dans ses deux précédents films dans un hôpital psychiatrique (Titicut Follies) et dans un lycée (High School), la question de l'influence de la caméra sur le sujet qu'elle filme se pose clairement. Pour Wiseman, la question semble tranchée : "Si le flic pensait que ce qu'il fait est anormal, pourquoi agirait-il ainsi alors qu'il se sait filmé ?" dit-il au sujet de cette séquence franchement insoutenable dans laquelle un flic en civil défonce la porte de l'appartement d'une prostituée pour saisir violemment la pauvre femme et l'étrangler en arborant un air de supériorité infect.
Mais Law and Order est loin de s'arrêter à ces séquences violentes, manifestations d'un sentiment évident de toute-puissance de la police locale, et prend ses distances avec toute forme de manichéisme. Ce qui l'intéresse, de manière très nette, c'est précisément l'ambiguïté qui enveloppe cette institution, partagée entre ses missions de service public et sa fonction d'appareil répressif. La réflexion sur la légitimité de la violence ne constitue qu'une petite partie du discours, et Wiseman insistera bien davantage sur une autre composante fondamentale de ces innombrables interventions : l'impuissance manifeste à résoudre les problèmes relevant de la sphère privée auxquels la police est confrontée.
Entre deux séquences de maltraitance s'insèrent ainsi, tout en contrastes, d'autres séquences montrant des policiers qui ont récupéré en bons babysitteurs une petite fille ayant perdu ses parents, qui tentent de résoudre un différend entre une propriétaire et un jeune couple de locataires dans la misère, ou encore qui récupèrent très aimablement le sac volé (retrouvé vide) d'une vieille dame. Wiseman ne s'interdit pas quelques détours comiques (un trait constant dans la première partie de sa filmographie), d'un humour très contenu et peu expansif, dans des scènes très graves ou au contraire plutôt anodines. Ainsi ces passages qui rythment tout le film montrant deux voitures de police côte à côte avec les conducteurs respectifs en pleine discussion sur leur avenir ou sur leur routine. Ainsi ce passage sidérant ou un policier se jette de tout son poids sur le lit d'une vieille femme pour lui retirer violemment son dentier...avant de réaliser que "les dents sont des vraies, pas étonnant que j'arrive pas à les enlever !". Wiseman s'intéresse également au cas où les tensions raciales sont exclues des rapports de domination entre la police et les habitants, comme ces séquences où un policier noir s'occupe d'un vol commis par un jeune enfant noir, ou encore la malchance d'un gamin qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et qui s'est trouvé mêlé à une histoire de braquage qui ne le concernait pas.
Wiseman montre autant les activités liées au respect de la loi que celles ayant trait à des aspects sociaux, et établit très élégamment la toile de fond d'une société en crise, minée par le racisme, la pauvreté et la violence. Il suggère que le dérèglement auquel on assiste est le symptôme d'un dérèglement bien plus global.
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