Lorsque David Lean est allé faire des repérages en Jordanie pour préparer son film, il a été très surpris de constater que là-bas, personne ne semblait connaître le colonel Lawrence.
Du côté britannique, ce n'est guère mieux. Si l'on connait l'auteur des "Sept piliers de la sagesse" qui fut un "best-seller" lors de son édition posthume grand public de 1936, en revanche on ne se souvient que vaguement d'un officier qui aurait eu un rôle d'intermédiaire entre l'émir Fayçal et les anglais.


Des historiens ont cherché à vérifier l'authenticité des récits qu'il fait dans "Les sept piliers de la sagesse". Les attaques de train qu'on peut situer n'ont pas eu lieu. Les tribus arabes responsables de la prise d'Aqaba refusent d'admettre qu'elles aient été dirigées ou entrainées par un britannique.


On a aussi valorisé ses qualités de stratège militaire qui lui ont permis de formaliser les techniques de guérilla dans le désert, or ces techniques faisaient partie de l'enseignement théorique qu'il a reçu. Elles se trouvaient dans les livres qu'il a étudié.


Malgré tout, David Lean choisit de faire de lui le héros de son film, un héros conforme à son récit autobiographique. Cette thèse lui permet de porter un message universel: la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Il en profite pour dénoncer les politiques coloniales des puissances occidentales qui veulent imposer leur modèle politique et exploiter les ressources des pays dominés.


Qu'en est-il vraiment de Lawrence? La vérité, c'est qu'il n'est certainement pas passé du grade de lieutenant à celui de colonel sans raison. Il avait passé plusieurs années au proche Orient comme archéologue. Il avait appris l'arabe et connaissait les coutumes locales. Il savait comment parler aux chefs de tribus. Il avait gagné la confiance de Fayçal que le général Alenbi considérait comme le seul interlocuteur capable de fédérer les tribus sous l'autorité de son père, Chérif Hussein, considéré aujourd'hui comme le fondateur du panarabisme.


Lawrence a été employé dans le cadre des accords "Sykes-Picot" signés en Mai 1916 et dans lesquels les anglais et les français se partagent les zones d'influence au moyen orient. Plus tard, Cherif Hussein demandera des explications sur ces traités, laissant entendre qu'il aurait pu être spolié (thèse reprise par le film), alors que des archives françaises prouvent que toutes les cartes lui avaient été transmises et qu'il était au courant de ces accords lorsqu'il a décidé de s'allier aux franco-britanniques contre les turcs.
En Avril 1920, lors de la conférence de San Remo, les anglais et les français complètent leur accord en précisant les frontières des différents états.
Ces accords font partie des problèmes de fond à l'origine des conflits actuels au moyen orient.


Lawrence était pro-sioniste. Or un des grands enjeux des négociations après la victoire des britanniques sur les turcs, fut de restaurer une Palestine ou les juifs auraient des droits reconnus. Le rôle de Lawrence fut de convaincre les arabes que les efforts et l'argent des juifs bénéficieraient au peuple arabe. Il réussit si bien qu'un accord "Weizmann-Fayçal" fut signé qui reconnaissait les droits nationaux et historiques des juifs en Palestine, que la Grande Bretagne devenait mandataire de ce nouvel état qui allait favoriser la venue de millions de juifs qui apporteraient leur aide technique et financière aux arabes.
Il avait si bien convaincu Fayçal que celui-ci écrivit lors de la conférence de la paix de Paris en 1919, au représentant sioniste américain, une lettre dont voici un extrait:
"Cher M. Frankfurter, je veux profiter de l'occasion de mon premier contact avec des sionistes américains, pour vous dire ce que j'ai souvent été en mesure de dire au Dr Weizmann en Arabie et en Europe. Nous avons le sentiment que les Arabes et les juifs sont des cousins ​​de race, qu'ils souffrent d'une oppression similaire par des mains de puissances plus grande qu'eux-mêmes, et que, par un heureux hasard, ils ont été en mesure d'accomplir ensemble, un premier pas vers la réalisation de leurs idéaux nationaux. Nous, les Arabes, surtout les gens instruits parmi nous, regardons le mouvement sioniste avec la plus profonde sympathie... "


Nous comprenons à la lumière de la situation actuelle que les arabes comme les anglais peinent à se souvenir de certains épisodes.


Il n'empêche que Lawrence a bien enjolivé ses souvenirs et nous en retiendrons qu'il est préférable d'écrire sa biographie soi-même que de la laisser entre les mains des historiens.
Nous retiendrons également que nous payons aujourd'hui le prix des maladresses de notre politique coloniale de l'époque.


Ce film est donc une belle œuvre romantique qu'il convient de voir pour ce qu'elle est, c'est-à-dire un message politique et non un fait historique.

-Marc-
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le 22 mars 2017

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-Marc-

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