Un comédien au chômage est mandaté par un PDG pour incarner l’abstrait « grand patron » qu’il mentionne à ses salariés depuis dix ans pour ne pas assumer face à eux ses propres décisions et gagner leur affection. Mais alors que le comédien ne devait s’exécuter que devant cet investisseur islandais exigeant, il se présente à toute la petite communauté. Le lointain patron a maintenant un visage et il va falloir l’incarner.



Après Dogville et Manderlay où il adoptait un dispositif théâtral extrêmement lourd, Lars Von Trier livre ce Direktor, bizarrerie dans sa filmographie. C’est une comédie revenant aux principes du Dogme95 qu’il avait soutenu originellement, avec Thomas Vinterberg (Festen), ou plutôt les ressert pour mieux les transgresser ouvertement et avec malice.



Car si le manque de ressources est revendiqué et la dimension artificielle de cet espace-temps mise en avant, Lars Von Trier est en plein discours au travers de ce film. Il donne un justificatif à sa vision très noire de l’entreprise et par extension de toutes les communautés humaines, formant des psychoses collectives aberrantes vues de dehors – déjà dans Les Idiots elle concernaient même les plus récalcitrants.



Pour capturer l’objet en faisant mine de ne pas s’ingérer, Lars Von Trier laisse donc l’Automavision faire son office. Il s’agit d’un procédé rarement employé où la machine modifie toute seule les caractéristiques de la prise de vue. Le film en viendrait facilement à manquer de substance facilement et il flirte de toutes façons avec la vacuité. Mais les intentions sont là, comme le goût du bon gros canular et soutiennent l’improvisation. Le Direktor se suit comme un grand sketch consistant à mettre à mort le fragile équilibre de la bulle triste où sont enfermés ses personnages. Les allégories concernant les relations entre l’art et l’économie ne sont que des outils.



Lars Von Trier installe donc une distanciation généralisée, tout en répondant présent. Il est exactement comme cet acteur amoureux de la technique de Gambini et se prenant un peu trop au sérieux : il est candide et acide, mais c’est sans mesquinerie, juste des observations d’un type détaché et stoïque, avec un ego incommensurable c’est vrai. Les acteurs sont en roue libre pour de faux, se laissent conditionner par leur environnement et par les plans de Lars. Les petits commentaires du réalisateur pour encadrer le film sont un peu agaçants, mais somme toute, compris comme un farceur trivial et machiavélique, il fait un travail honnête et précis.

Tous les films de Lars Von Trier :
http://www.senscritique.com/liste/Classement_personnel_du_cinema_de_Lars_Von_Trier_Zogarok/639198

Créée

le 27 janv. 2015

Critique lue 602 fois

5 j'aime

1 commentaire

Zogarok

Écrit par

Critique lue 602 fois

5
1

D'autres avis sur Le Direktør

Le Direktør
ChocBonham
8

Comédie au goût amer

Lars Von Trier, après nous avoir livré des films tragi-dramatiques au possible (Breaking the Waves, Dancer in the Dark, ou Dogville), décide de nous montrer son possible talent pour la...

le 4 mai 2012

19 j'aime

6

Le Direktør
JimBo_Lebowski
8

Lars tire les ficelles

Un film vraiment particulier ... Von Trier veut nous présenter une "comédie" comme il le dit lui même dans les premières minutes, son reflet caméra dans la vitre laisse augurer une certaine...

le 6 mai 2014

8 j'aime

Le Direktør
MCTM
8

Critique de Le Direktør par MC™

Après les deux premiers volets de sa trilogie américaine et avant la très critiqué trilogie de la femme, Lars Von Trier sortait une comédie très... Lars Von Trier quoi, dès le début en voix off il...

le 10 mai 2014

5 j'aime

Du même critique

La Haine
Zogarok
3

Les "bons" ploucs de banlieue

En 1995, Mathieu Kassovitz a ving-six ans, non pas seize. C'est pourtant à ce moment qu'il réalise La Haine. Il y montre la vie des banlieues, par le prisme de trois amis (un juif, un noir, un...

le 13 nov. 2013

51 j'aime

20

Kirikou et la Sorcière
Zogarok
10

Le pacificateur

C’est la métamorphose d’un nain intrépide, héros à contre-courant demandant au méchant de l’histoire pourquoi il s’obstine à camper cette position. Né par sa propre volonté et détenant déjà l’usage...

le 11 févr. 2015

48 j'aime

4

Les Visiteurs
Zogarok
9

Mysticisme folklo

L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993,...

le 8 déc. 2014

31 j'aime

2