Attention, cinéma français, proclament les 20 premières minutes du Fils de Jean : répliques un peu fausse, tonalité empesée, toutes ces petites maladresses oscillant entre la pose et l’authenticité théâtralisée qui bien souvent ruinent l’exposition du film, et qui semblent pourtant tellement acquises dans les autres pays.
Il faut pourtant dépasser ces débuts laborieux pour laisser sa chance au film. Une fois la quête amorcée, celle d’un homme de 33 ans parti sur les traces d’un père qu’il n’a jamais connu et dont on vient de lui annoncer le décès, se met en place, à la faveur d’un voyage au Québec, un drame intimiste d’assez bonne facture. Le changement de registre, pour Pierre Deladonchamps après L’inconnu du lac, met clairement ses talents de comédien à l’honneur, qui plus est dans le duo qu’il forme avec Gabriel Arcand, le vieil ami de son père défunt.
Loin de jouer sur la corde d’un pathos pénible, le film suit plutôt l’initiation à la désillusion : dans ce voyage à l’autre bout du monde, découvrir une partie de ses origines et ses demi-frères est déjà en soi trop romanesque. Les rencontrer pour retrouver, sur un lac, le corps de ce père qui brille encore trop par son absence, l’est davantage encore. La distance proposée par Lioret n’est ni satirique, ni ironique : c’est plutôt une école du regard, qui indique, discrètement, les êtres à prendre en considération autour de soi, et qu’on a tendance à oublier. La famille restée à Paris, les hôtes de Mathieu deviennent ainsi des personnages secondaires de premier plan. Si quelques artifices d’écriture forcent légèrement le trait de la démonstration (le tournoi de judo, la médiocrité unilatérale des demi-frères, mauvais par la vénalité et la violence), la vérité des êtres et la force des relations prend toujours le dessus. Les liens qui se tissent entre Mathieu et Pierre, grand père taiseux et sensible, puis la nuit d’ivresse qu’il passe avec sa fille, permettent des embardées intéressantes, parce qu’elles sont toujours sur le fil : l’aménagement de l’intrigue leur confère un statut qui ne permet pas d’aller trop loin, et partant, d’instaurer des enjeux moins étouffants entre eux.
L’intrigue repose en outre sur un twist qu’on peut aisément anticiper dès le départ, mais qui n’évente pas pour autant le plaisir. C’est peut-être même le contraire : la complexité des relations est sans cesse lue par le biais de certaines suspicions pour le spectateur, comme s’il voyait le film pour la seconde fois, et lui assure une distance qui accroit la tendresse ou l’empathie pour les personnages.
Tout est question de dosage : évoquer les origines, le mensonge, l’amour filial, la mort et le deuil dans un même récit est inévitable pour un film « intimiste ». C’est le faire avec justesse qui relève du défi.
Les conditions d’écriture, le jeu des comédiens, la distance exotique d’un pays où l’on parle un autre français, rendent favorable l’émergence d’une vérité autre, et qui redéfinit bien des certitudes. Car l’autre réussite du film est de peaufiner sa sortie : tendue vers un après, bienveillante à l’égard de la vie des êtres plutôt que préoccupée de sa conclusion (cette fameuse « closure »), la conclusion propose un film non sur le deuil et le pardon, mais sur la rencontre et la vie à venir.
(6.5/10)