Une vision acide des guerres de territoire sous les traits d'une comédie

Yojimbo est surtout connu pour le remake (non officiel) qu'a fait Sergio Leone avec Pour une poignée de dollars. Une influence majeure pour le western spaghetti (et aussi pour toute une génération de films de samouraïs). Mais il puise lui-même dans le western classique, Le train sifflera trois fois. Une véritable transition cinématographique, puisqu'en reprenant le principe de ce dernier (nettoyer une ville de toute sa vermine), il réinvente la figure du héros en lui instillant, au lieu d'un idéal de justice morale, une forme de cynisme amoral apparemment dénué de tout idéal.


Ainsi, la force du film revient d'abord à la naissance d'un personnage iconique, Sanjuro, que Toshiro Mifune incarnera encore deux fois, notamment dans la séquelle Sanjuro, qui avec Yojimbo forme un véritable diptyque dans la gestion des conflits et de la violence. Son introduction prend des allures de mythe. Deux artefacts ainsi qu'un bref historique de sa situation suffisent à en faire le tour : un samouraï sans maître dont l'unique objectif est de survivre, sa fonction étant rappelée par une tunique et un sabre. Il pénètre dans une ville balayée par le vent, désertique, terrain d'un affrontement sans pitié entre deux gangs, symbolisant la dureté de la société japonaise. Quelles sont ses intentions profondes ? Nul ne le sait, et l'intérêt du film consiste justement de les découvrir. Il n'a même pas de véritable nom.


Pour mettre en perspective cette lutte à mort, la mise en scène est particulièrement travaillée. L'espace est arrangé de telle manière qu'on visualise parfaitement cet affrontement visant la domination totale de la ville, tous aussi forts et mauvais les uns que les autres comme en témoignent leurs gueules patibulaires. Or, l'arrivée de Sanjuro vient déséquilibrer cette fragile dynamique, et s'amuse à faire monter la pression, après une brève mais intense démonstration de ses talents au sabre pour faire monter sa côte, jusqu'à une ironique scène d'affrontement où il se retire pour admirer le spectacle de loin. A l'image de cette séquence distrayante et symbolique de la lutte absurde pour le pouvoir, tout peut basculer d'un côté comme de l'autre, le samouraï étant le grain de sable visant à accélérer la machine de cette violence auto-destructrice. A leur insu, il distribue les cartes, ils en subissent les conséquences.


Sa stratégie est d'abord d'offrir son support alternativement à l'un et l'autre groupe pour faire monter une tension qui existe déjà dans leurs rapports jusqu'à son paroxysme, afin qu'ils s'entre-tuent sans qu'il intervienne trop physiquement. Mais après la visite impromptue d'un officiel, il est obligé d'agir plus subtilement, de l'intérieur, en tant qu'espion dans l'un des deux groupes pour épier leurs faits et gestes et donc anticiper ou détourner leurs plans. Apparemment attiré par l'appât du gain (ce qui l'était peut-être véritablement avant qu'on essaie de l'éliminer prématurément), les motivations idéales et profondes de Sanjuro ne sont dévoilées qu'après qu'une femme soit l'objet d'un marchandage éhonté. Sa véritable nature se révèle alors en partie : sans maître, il lui reste les qualités intrinsèques de sa fonction de samouraï consistant à protéger la veuve et l'orphelin. C'est ce qui le distingue de ces brigands, mais aussi ce qui constitue sa faiblesse dans un plan bien huilé. En d'autres termes, derrière son apparent cynisme amoral, se cache une sorte de chevalier-servant qui agit à son initiative, guidé par un code d'honneur, tout comme les 7 samouraïs défendant les villageois contre les sanguinaires voleurs. Ni bon ni mauvais, il fait usage de la violence avec parcimonie pour servir ses plans. Un personnage typique de Kurosawa, pacifiste convaincu, qui fait face ici à une société totalement gangrenée par le pouvoir, la corruption, et l'appât du gain : l'unique inspecteur de police oriente les potentiels guerriers vers les gangs en échange d'une pièce de récompense, et l'officiel est couvert de cadeaux des deux côtés pour qu'il ne regarde pas dans leurs affaires.


J'ai découvert Akira Kurosawa et Toshiro Mifune avec ce film, qui signèrent bien d'autres collaborations. Une excellente entrée en matière pour aborder ce cinéaste fondateur, également très bon divertissement intelligent qui renouvelle les bases du genre. Il n'y a que des petits défauts. D'abord un problème récurrent, à mon avis, du japonais : son sens du rythme, avec des séquences parfois trop longues. Puis les adversaires de Sanjuro sont peu développés psychologiquement, contrairement à ceux de la séquelle. Ce qui s'explique pour deux raisons : le ton du film est celui de la farce des rapports humains (qui sera reprise dans les westerns spaghettis), d'ailleurs très bien mise en valeur par la musique de Masaru Sato. Et alors que dans la suite de Yojimbo, la conquête de l'espace est aussi celle de l'esprit humain, ici le conflit est plus abstrait, incarné avant tout par la ville-personnage. Donc ce qui compte avant tout, c'est leur représentation physique, leur faciès, dont se distingue Tatsuya Nakadai, le plus cruel de tous et le seul à porter un pistolet, signe crépusculaire de l'honneur des samouraïs.


Bref, malgré quelques problèmes de rythme, il s'agit d'un chambara très divertissant, dont la réussite revient avant tout à sa mise en scène (avec une excellente gestion de l'espace dans laquelle se tient la lente auto-destruction des deux gangs dont les rapports sont uniquement mus par la violence), et le personnage de Sanjuro, anti-héros au grand coeur, souvent repris dans le cinéma populaire.

Arnaud_Mercadie
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le 26 avr. 2017

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Dun

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