Il fallait bien un labyrinthe pour organiser ce tortueux carrefour entre histoires et Histoire, entre contes et réel. Le labyrinthe de Pan est une odyssée tout à fait passionnante, un double parcours qui parvient à un point d’équilibre ténu entre le fantastique et l’historique, au profit d’une émotion authentique.
En faisant de son héroïne une enfant, del Toro permet ce point de bascule : le récit ne cessera d’aller et venir entre sa quête, rivée au conte de fée, et le décor extérieur dans lequel les conséquences de la guerre civile espagnole font rage.
Mais, loin d’en constituer une échappée un peu vaine, l’incursion dans l’imaginaire en est davantage le miroir déformant : l’horreur est partout, et l’un des grands mérites du film est de ne pas avoir fait de concession dans l’objectif d’élargir son public. On a beau traiter des enfants et de leur univers onirique, le réel s’invite et le contamine. De ce fait, l’organique, la bave, la boue, le sang, sont les souillures nécessaires à l’initiation qui ne se fera pas sans douleur. L’imagerie est aussi belle qu’effrayante, renvoyant aux toiles de Goya, inventive dans ses créatures (très belle idée de ces yeux dans les mains qu’on pose ensuite sur le visage), visions outrées d’un drame qui se joue dans la cellule familiale.
Car l’extérieur, renvoyant au film historique, plonge tête baissée dans les horreurs d’une guerre civile. Alors que la nation se déchire dans une lutte fratricide, la cellule familiale semble en pleine décomposition, n’en déplaise aux curés qui voudraient garantir une stabilité de facade. La famille d’Ofelia est à la fois recomposée et décomposée, pourrie dès l’origine par des mystères étranges sur l’origine du couple, tout comme le rapport du beau-père à son propre père qui semble le hanter. Dans cette demeure sylvestre, nimbée d’une splendide photographie, la nuit n’est pas tant le relai vers l’imaginaire (cantonné à la seule jeune fille, qui a la possibilité de tracer des cloisons à la craie pour s’en extraire) que vers la forêt des clandestins, deux mondes qui cohabitent et créent tout un réseau de double jeu.
Violente, pessimiste, saturée de nuit, la fable a tout du cauchemar éveillé : une course au sacrifice, une imagerie à la fois gore et tragique, dans lequel toutes les factions (nationales, familiales, fraternelles) s’entretuent. Reste l’acceptation de la mort, et de ce fait, le dénouement, qui n’est rien d’autre qu’un retour à l’image première, est à double tranchant : une victoire, certes, mais aussi et surtout une illustration radicale de ce que supposerait le passage de l’enfance au monde des adultes et des hommes : une mise à mort, symbolique ou non, par ceux qui la peuplent et vous initient à sa violence barbare.
(7.5/10)