Le violon plaintif pleure une dernière fois cette berceuse, lente, bouleversante, d'une tristesse infinie. En réponse aux premiers instants du film, où cette chanson est murmurée, alors que ce visage de l'enfance sacrifiée se fige et que quelques gouttes de sang coulent. A chaque fois, les mêmes larmes brûlantes. A chaque passage. Les mêmes qui roulent, lors du départ d'E.T. L'Extra-Terrestre, ou à l'occasion du final du Géant de Fer. Et la gorge se noue toujours, immanquablement.
Le Labyrinthe de Pan est un paroxysme émotionnel rarement atteint. Difficile de décrire, de convoquer par les mots, ce qu'il réussit à faire naître en moi. C'est la faute à Guillermo, après tout. Celui qui, peut être, ne pourra jamais faire mieux que ce chef d'oeuvre là. Qui ne mettra plus son coeur à nu de cette manière. Sa sensibilité quasi enfantine. Dans ce décor espagnol qui le fascine, depuis L'Echine du Diable, Guillermo anime un véritable conte merveilleux, macabre, parfois sombre, en forme d'échappatoire de l'autre côté d'une réalité violente, noire, traumatisante.
Difficile de parler de l'un de ses films favoris, quand le sens critique s'abolit pour laisser place à un émerveillement de chaque instant, à la compassion éprouvée pour son personnage principal, face à la douleur de la perte. Quand il cède la place à l'étrangeté et au magnétisme de chacune de ses pauses fantastiques, qu'elles soient au coeur d'un arbre qui se meurt, à l'entrée presque utérine, dans les sous-sols où un festin est dressé, ou dans les méandres d'un labyrinthe d'ombres et de pleine lune.
Ces décors merveilleux sont peuplés de monstres qui ne le sont pas moins. Peut être pas à foison. Oui. Mais chacun marque l'esprit du spectateur. Des plus évidents, comme le faune, à l'apparence noueuse, entre bois, mousse et animalité inquiétante. Comme le Pale Man au corps torturé et blafard. Il y a aussi cette mandragore, dérangeante, à la silhouette humanoïde grotesque ou les fées, loin de leur aspect le plus rassurant et confortable de la littérature populaire.
Aussi fantastique et menaçante soit-elle, cette galerie d'horreurs, déformation d'une réalité fantasmée comme expression d'une vision juvénile d'un monde encore plus horrible, peine à cacher le visage fermé du véritable monstre de l'histoire, cruel, sanguinaire, implacable et froid, opposé à l'irruption du merveilleux et de ses tons chauds. Guillermo Del Toro brouille la frontière entre les deux univers qu'il met en scène en les faisant se répondre l'un l'autre, en les faisant résonner. Ainsi, la clé que vomit le crapaud au coeur de l'arbre moribond répond à celle que Vidal confie à Mercedes. La dague volée au Pale Man, au couteau qu'elle dissimule. Le monstre pâle et décharné, lui, recouvre la vue, juste après le repas organisé par le capitaine, en annonçant que celui-ci comprendra ce qu'il se passe sous le toit de son moulin. Le motif du faune, lui, est bel et bien présent dans les décors, de manière discrète, mais constante.
Mais tout cela, finalement, n'est rien devant cette enfance que Del Toro dépeint sans défense, abandonnée, par la force des choses et le courant de l'Histoire. Cette enfance qui essaie de manière désarmante de se préserver de la menace en s'évadant dans une alternative ambivalente, au début clairement féérique, qui se teinte au fur et à mesure de l'intrigue de couleurs extrêmement sombres et désespérées, uniquement éclairée par les reflets de la lune pleine. Alors même que Vidal et sa mère essaient de l'en dissuader, la jeune Ofelia n'aura de cesse de se raccrocher de toutes ses forces à ce monde pour fuir l'inquiétude, la solitude et son dégoût pour un beau-père narcissique et obsédé, comme souvent chez Del Toro, par les mécanismes et les rouages du temps, une montre brisée ici, en rapport avec l'image du père.
Bouleversant et terrible à la fois, ode à l'enfance étranglée par la perte des illusions et la cruauté du monde des adultes, Le Labyrinthe de Pan balance perpétuellement entre un pessimiste cauchemar éveillé et l'innocence la plus pure qui soit. Jusqu'à un sacrifice déchirant, en forme de retrouvailles fantasmées, baignées des mêmes larmes malgré la libération. De la même berceuse déchirante et pourtant si belle.
Behind_the_Mask qui, à l'inverse du Pale man, n'a plus que ses yeux pour pleurer.