Poème Visuel
Surtout connu pour ses faramineuses reconstitutions historique, D. W. Griffith prouvait régulièrement qu'il était capable de mettre en scène de jolies et touchants mélodrames, comme peut en témoigner...
le 13 mai 2014
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Nous voici propulsés loin en arrière dans l’histoire du cinéma, à une époque où les voix n’animaient pas encore les salles de cinéma, un temps oublié par la plupart, son aspect archaïque rebutant les moins avertis. Moi-même, je ne peux pas regarder uniquement des vieux films muets, mais certains d’entre eux doivent être réhabilités et regagner le crédit qu’ils méritent. Cet article a donc pour but, en plus du fait que j’ai trouvé Le Lys Brisé magnifique, de rappeler qu’en 1919, L’arrivée d’un train en garde la Ciotat était déjà loin.
Broken Blossoms, or the tale of forbidden love, le titre original de ce film signé D.W. Griffith, raconte les destins de Cheng et de Lucy. Cheng est un jeune chinois bouddhiste, apôtre de la paix et de la tolérance, qui décide de partir à Londres pour y prêcher la bonne parole. Lucy est une jeune femme de Londres, qui vit avec son père. Malheureusement, celui-ci est extrêmement violent, d’autant plus que Lucy n’est pas une enfant désirée, ce qui le rend d’autant plus violent et agressif à son égard. Cheng, de son côté, découvre que les londoniens n’ont pas la délicatesse dans le sang et que vivre dans ses rues n’est pas de tout repos. Un jour, les chemins de Cheng et Lucy vont se croiser, accélérant alors brutalement les choses.
Aux commandes de ce Lys Brisé, nous avons l’éminent David Wark Griffith, l’un des pères fondateurs du cinéma, réalisateur emblématique des années 1910, à la tête d’impressionnants films comme Naissance d’une nation (1915) et Intolerance (1916), des films à l’importance capitale à cette époque de transition vers la domination du long-métrage. Trois ans après ce dernier, Griffith revient à la charge avec Le Lys Brisé, moins monumental que ses prédécesseurs mais tout aussi engagé, une habitude chez le réalisateur. Cette fois, il ne met pas 60 000 figurants à contribution, et s’affranchit des superflus des blockbusters pour raconter une histoire plus intime et modeste d’apparence, mais tout aussi puissante.
Ce mélodrame dirigé d’une main de maître ne laisse absolument rien au hasard. Griffith choisit délibérément deux personnages suscitant l’empathie : une jeune femme martyrisée qui erre dans sa pauvre existence, et un jeune chinois aux intentions nobles et pacifiques, un élément d’ailleurs intéressant quand on connaît les polémiques qui subsistent encore quant à l’aspect jugé raciste de Naissance d’une nation. Ce choix de personnages, êtres rejetés par cette cruelle société, nourrit également la fatalité annoncée de cet amour interdit. Au fil de l’intrigue, leurs histoires nous captivent et nous plongent dans l’incompréhension face aux malheurs qui les frappent. Mais si je dois retenir deux éléments majeurs contribuant à la beauté de ce film, c’est bien l’époque où il a été réalisé, et Lillian Gish.
En effet, si Le Lys Brisé avait été réalisé dix ans plus tard, à l’époque où le cinéma parlant prenait progressivement la place du muet, il aurait perdu de sa beauté et de sa mélancolie. Les mélodrames muets dégageaient une poésie propre à eux, développée par l’accompagnement musical permanent et le jeu très théâtral des acteurs (A travers l’orage, réalisé par le même Griffith un an plus tard, en est également un très bon exemple). Des acteurs magnifiés et qui magnifient, et ce n’est pas la présence de Lillian Gish ici qui nous fera dire le contraire. Beauté brisée, intemporelle et mélancolique, elle nous hypnotise et nous touche droit au cœur. Son apparition même nous saisit, lorsque se dessine sa petite silhouette chétive, dominée par toutes celles de ces inconnus hostiles qui arpentent les rues de Londres. Une fois de plus, elle fait preuve de tout son talent, en incarnant et en dégageant à merveille toute la souffrance, la détresse, mais également l’innocence et la tendresse qui émanent de Lucy.
Le film est monté de telle manière que le tempo s'accélère au fil de l'intrigue, nous permettant d'abord de nous familiariser avec les personnages et de cerner les dangers qui les menacent, afin de monter en tension avant le dénouement final.
ZONE SPOILERS
Le Lys Brisé propose d’ailleurs un climax absolument phénoménal, qui se manifeste notamment à travers la mythique scène où Lucy s’enferme dans un cagibi pour éviter les violences de son père, pendant que celui-ci frappe la porte en bois à la hache. Pendant une minute trente d’une intensité et d’une violence rares, Lillian Gish nous transmet à merveille l’effroi et le désespoir absolus que subit Lucy, confrontée à son terrible destin. On sait qu'elle ne peut échapper des griffes du tortionnaire, et jusqu'au bout, on espère qu'il ne commettra pas l'irréparable, et qu'elle survivra, car on ne peut imaginer qu’une si belle jeune femme puisse mourir aussi injustement, et pourtant, Lucy s’éteint, victime des coups de son père, en nous laissant impuissants face à cette triste fatalité qui met un terme à une existence gâchée. Cheng finit tout de même par la venger, et clôt l’histoire en se donnant la mort, la vie n’ayant plus rien à lui apporter, aboutissant sur une ultime scène montrant un moine chinois frappant le gong, allusion à l’une des toutes premières scènes du film, magnifique symbole d’un retour aux sources, image d’un monde meilleur, dépourvu de toute brutalité. Inutile de dire que, pour ma part, j’ai eu la larme à l’œil.
FIN DE LA ZONE SPOILERS
Nul doute que l’apparence du Lys Brisé a vieilli, avec son ton sépia et l’usure des pellicules, mais malgré les affres de l’âge, sa beauté est restée intacte et n’a pas perdu une once de sa splendeur. Chef d’œuvre du cinéma muet, ce film tient justement son charme de cette authenticité, celle d’un art encore jeune, plein de promesses, libre, et fait avec le cœur. La passion est omniprésente dans ce mélodrame bouleversant, et j’ai moi-même été secoué. Rares aujourd’hui sont les films à pouvoir créer autant d’émotions avec autant de simplicité et de vérité, et c’est bien pour cela qu’il ne faut pas oublier, parfois, de regarder un peu en arrière pour admirer ces œuvres certes d’un autre temps, mais inimitables.
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le 8 mai 2015
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