Comme pour la Bataille de San Sebastian, Henri Verneuil a tenu à réaliser un film promis à une audience internationale, d'où son aspect de grosse machine à l'américaine avec grosses vedettes, décors multiples et sujet brûlant que certains critiques lui ont d'ailleurs reproché. Ces gens là ne sont jamais contents et ne voient que le mauvais côté des choses, alors que justement Verneuil délaissait les succès populaires avec Gabin ou Belmondo pour aborder une intrigue d'espionnage touffue.
La vraisemblance du sujet est garantie, pour cela, il a adapté "le Treizième suicidé" de Pierre Nord, romancier un peu oublié en 1972 dont le film fit reparler un peu de lui, il fut considéré à une époque comme le père du roman d'espionnage français. Certes, Nord n'a pas le talent inquiétant d'un John Le Carré, mais l'intrigue est alambiquée à souhait, c'est un imbroglio qu'il faut suivre avec attention car on risque fort d'être largué en route, le sujet traite de l'affrontement CIA-KGB dans une tranche de guerre froide, alors que les autres services secrets français et anglais révèlent des lacunes au niveau de la sécurité et de la fiabilité, chacun est compromis, personne n'est propre.
Le sujet peut rappeler un peu l'Etau d'Hitchcock, sauf que cette co-production franco-italienne fut du goût du public, elle n'a pas cassé la baraque mais a obtenu un honorable succès, sans doute dû à son casting 5 étoiles franco-américain (Yul Brynner incarnant Vlassov, ex-chef du KGB, Henry Fonda incarnant Davies, chef de la CIA, Philippe Noiret et Michel Bouquet représentant le contre-espionnage français, Dirk Bogarde symbolisant le numéro 2 des services secrets britanniques), bien secondé par une pléiade de bons acteurs de complément. Verneuil a raconté une angoissante machination constituée de complots dans l'ombre en donnant assez d'ambiguité et une certaine densité psychologique à ses personnages, c'est une histoire de transfuges et d'espionnage machiavélique qui se situe très loin des jamesbonderies exotiques, avec des personnages froids et presque déshumanisés, d'où par endroits une action statique, c'est le lot de ce type de films, et la fin réserve son lot de surprises.
On assiste par moments terrifiés, à une partie d'échecs dont les pions sont pipés, où le destin du monde est livré aux études de dossiers et aux données statistiques des ordinateurs. Le film est bien dirigé, avec son habileté coutumière, Verneuil en maniaque de l'application, y apporte sa maitrise technique, et la véracité implique qu'il ait fait reconstruire les locaux de la CIA d'après photos, sans oublier le maestro Morricone signant une partition assez trouble qui colle bien au sujet.