http://zogarok.wordpress.com/2014/07/07/le-vent-se-leve-miyazaki/
Comme tous les Miyazaki depuis Chihiro, celui-ci était son dernier, promis juré et puis son chef-d'oeuvre ultime, aussi. Alors il faut espérer que Miyazaki puisse renouveler ses faux adieux ; et rassurer les néophytes s'il en est encore : Miyazaki a fait bien mieux ! Onzième long-métrage du maître, Le Vent se Lève (dont le titre et la phrase ultime sont puisés dans le poème Le Cimetière marin de Paul Valéry) est le portrait d'un grand ingénieur de l'aéronautique dans le Japon des années 1930.
Jiro est peut-être un égoïste amoral, c'est surtout un doux rêveur caractéristique. Si le contexte historique est d'abord une toile de fond pour Miyazaki, l'auteur prend parti à sa façon. Jiro Horikoshi a bien existé et fut effectivement le concepteur du Mitsubishi A6M Zero, chasseur-bombardier utilisé pour laminer les ennemis du Japon. Mais le Jiro de Miyazaki n'est pas un partisan du régime, c'est un inventeur passionné, dévoué à ses proches mais manquant de vision, pour ne pas dire d'intérêt, envers tout ce qui le dépasse.
La société d'avant-guerre est décrite avec finesse par Miyazaki, celui-ci préférant étaler une grande richesse de sentiments à un point de vue social ou politique avancé. Son propos à ce niveau se fait nuancé : le Japon de l'époque investi des sommes colossales pour son équipement militaire, mais n'en demeure pas moins en retard et les protagonistes ne manquent pas de le rappeler. L'encadrement est sévère mais malgré la crise et la suspicion, l'optimisme bonhomme et la sensibilité de Miyaziki lui font imaginer un monde rempli de gens bienveillants. Jiro lui-même est un petit héros simple, agissant sans rien demander en retour, ni même être vu ou cité pour ses contributions.
Et puis la romance l'emporte et elle va constituer le choix exclusif du héros pour le dernier quart du film. Là encore ses sentiments prennent l'ascendant, sur le devoir, le progrès et la communauté maintenant, comme son enthousiasme pour sa création l'emportait sur la conscience de ses actes quand il travaillait au service de l'Empire Japonais. Le talent et le savoir-faire de Miyazaki sont tels que ce petit Tintin éthéré sait nous être sympathique, de même que les valeurs pacifistes exprimées, ainsi que la sensibilité exacerbée de ce film d'animation au registre très conventionnel.
C'est ce même talent et ce dédain pour les grandes affaires du Monde qui peuvent rendre Le Vent se Lève suspect de complaisance voir de négationnisme (la Corée du Sud s'est fâchée de voir ses blessures ainsi ignorées). C'est d'autant plus ironique que les vues sociales déclarées de Miyazaki sont particulièrement consensuelles (d'ailleurs il dénonce implicitement le Japon à deux vitesses de l'époque, où les élites absorbées par la course à l'armement délaissent un peuple souffrant). Pour ceux qui ne sauront lui pardonner soit la cécité volontaire soit l'activisme déguisé, il restera le travail effectué, brillant quelque soit le propos servi.
Si Ponyo, l'opus précédent, frappait par son abondance de créatures et de couleurs, Le Vent se Lève se distingue par la grande qualité de ses dessins. Les profondeurs de champs donnent presque l'impression de regarder le film dans une quelconque 3D. D'ailleurs, même si les animateurs nippons continuent à le minimiser voir à le rejeter, le numérique joue un rôle discret dans Le Vent, en venant compléter les méthodes traditionnelles qui demeurent les plus employées. Le seul usage complet de la 3D concerne les paysages en mouvement, traités avec la technique du camera mapping.