Aller voir le dernier Miyazaki en salle est depuis longtemps déjà un rituel précieux que la pénurie en dessins animés rend d’autant plus indispensable. Amateur forcené de petits gribouillis qui bougent, je n’ai effectivement depuis plusieurs décennies pas grand-chose d’autre que les productions Ghibli à me mettre sous la dent et j’attends toujours avec un bonheur sans mélange la possibilité d’admirer les superbes décors dont le studio a le secret et ses délicieuses prairies d’un vert qu’on ne rencontre plus ailleurs depuis la fin de l’âge d’or de Marcinelle…
Après deux opus décevants qui osaient mêler à la joliesse habituelle des pans entiers d’infinie laideur, j’étais presque rassuré à l’idée de voir Miyazaki revenir à un sujet plus adulte et ce même si, paradoxalement, mes préférés restent la plupart du temps dans la veine enfantine d’un Totoro ou d’une Kiki… Alors certes, l’absence de merveilleux risquait de manquer cruellement, mais vu comme c’était précisément le point faible des deux derniers, ça ne me gênait pas plus que ça, j’étais prêt à profiter une fois plus de l’amour immodéré du vieux ronchon pour les machines volantes primitives et autres atmosphères d’avant-guerre…
Bien entendu, comme d’habitude, les décors sont aux petits oignons, la musique de Joe suinte un peu le réchauffé mais reste honorable et l’animation est de haut vol, à un ou deux bémols près (Castorp est affreusement dessiné, tout de même…) tout est en place pour proposer un de ces spectacles magnifiques que plus personne d’autre ne sait réaliser aujourd’hui…
Malheureusement, l’histoire n’arrive jamais, si j’ose dire, à décoller vraiment. Il y avait pourtant, pour l’amateur de Buck Danny qui sommeille en moi, un sujet en or dans le récit de la vie de Jiro Horikoshi, le fameux ingénieur du chasseur zéro et on sait ce que Miyazaki a été capable de faire comme séquences époustouflantes au milieu de Porco Rosso pour passionner avec l’ingénierie aéronautique dans le passé…
Hélas, ici, plus guère de trace de la virtuosité passée, l’aspect technique se résume un peu à une histoire de tête de vis camouflées et une pudeur un peu exagérée oublie de nous expliquer comment on passe du Mitsubishi A5M au Mitsubishi A6M c’est à dire de la mouette au zéro, impasse bizarre autant qu’anachronique qui rend assez vite l’ensemble du projet faiblard par refus de le traiter en face et de mettre de côté les six ou sept excuses prévisionnelles qui entachent par trop laborieusement cette histoire…
A la place nous avons le droit à une histoire d’amour assez mignonnette dans son commencement, puis très vite alourdie par une tuberculose pénible et ses implications douteuses et j’avoue que, pour une fois, je ne me suis pas senti concerné plus que ça par toute cette histoire…
Le pire étant que pour compenser l’absence de fantastique, Miyazaki a décidé de filer au maximum la métaphore onirique dans des scènes particulièrement inutiles et redondantes… Quand tu parles de dix ans de capacité créative, Hayao, tu penses à qui ? Vivement la retraite…
Ce qui manque cruellement ici, finalement, c’est la capacité qu’avait le réalisateur jusqu’à Chihiro de transcender tous ses sujets pour parvenir à une universalité viscérale, une émotion brute, quelque chose de difficilement explicable qui avait en elle un je ne sais quoi d’infinité qui parvenait à bouleverser et que la perfection technique de l’animation ne faisait que servir de son mieux.
Alors ici, oui, il reste la perfection technique, d’autant plus précieuse que maintenant pour retourner voir un vrai dessin animé au cinéma ça va être couture et que ce constat m’émeut infiniment plus que le film que je viens de voir, mais il manque le principal, comme si, pour laisser de la place au mélo appuyé, au politiquement correct déplacé et au rêve forcé, on m’avait privé à la fois du zéro et de l’infini, de la minutie technique du sujet et de son supplément d'âme, ce que les plus jolis décors du monde ne seront jamais capables de remplacer ici-bas.