Aussi improbable que cela puisse apparaître à mes lecteurs les plus obtus, j’aime bien Tarantino, je trouve qu’il arrive très bien à mettre en scène ses histoires, qu’il épice agréablement ces dernières de son style caractéristique et sait comme personne les enrober de la touche musicale qui fera mouche au moment opportun.

C’est donc avec la plus grande tristesse que je le vois poursuivre après ses trois premiers films une carrière qui a perdu à mes yeux presque tout intérêt. Avec regrets j’ai vu disparaître la rigueur des débuts, rigueur qui n’empêchait à aucun moment donné l’originalité et la jubilation mais les canalisait seulement, concentrant ainsi leur force au service de l’histoire ou de ce qui en tenait lieu.

Maintenant, Quentin n’a plus rien à prouver à personne et ça se voit, décomplexé le bougre, il se permet tout, et surtout le pire, pourquoi se le refuser ? Plus il assume de tourner des histoires idiotes et gratuites, plus ses aficionados lui mangent dans la main, il aurait tort de se fatiguer ce garçon…

C’est dommage parce que le type n’a pas perdu son talent, il enrobe toujours aussi bien, il sait toujours raconter son histoire, seulement, il a l’air de se foutre éperdument qu’elle finisse par s’effondrer lamentablement, enfin, quand il y en a une, d’histoire, ce qui n’était même pas le cas de Death Proof par exemple.

Dans son dernier film, c’est plus le syndrome Inglorious Basterds avec un grand laisser-aller final qui a du mal à échapper au grotesque et qui détruit soigneusement tout ce que le cinéaste avait pu proposer de bon auparavant.

C’est d’autant plus regrettable ici qu’en bon amateur de western, j’ai beaucoup aimé la première heure du film. Je me suis délecté de l’arrivée du merveilleux Christoph Walz, révélation et seule bonne chose du dernier et désastreux opus, je me réjouissais d’avance de le revoir ici et j’avoue ne pas avoir été déçu. Plus polyglotte gourmand que jamais il sauve encore une fois le film et permet de tenir aussi longtemps que sa présence à l’écran sans trop défaillir. Toute la partie des chasseurs de primes est assez réussie, c’est dommage d’ailleurs qu’elle tourne court. La mission ultime qui nécessite tout le dispositif préparatoire qui sert d’introduction au film se révèle torchée en quelques minutes et un brin décevante, même si elle permet indirectement d’apprécier Jonah Hill en cagoule, plaisir rare s’il en est.

Du coup, le film est un peu déséquilibré et s’enfonce sans trop d’élégance dans une partie finale étirée jusqu’à l’écoeurement. Passons sur un prétexte scénaristique inutile qui oblige la création d’un plan inepte et tortueux pour récupérer la belle et supportons les conséquences sans trop rechigner, de toutes façons le pire est à venir.
Les premiers indices d’essoufflement se révèlent pendant l’interminable balade avec Leo et sa calèche ou tous les effets les plus grossiers et les plus inutiles se sont donnés rendez-vous pour nous gâcher le plaisir. Lourdes répétitions de la situation et du jeu en cours, scènes de cruauté gratuite, échecs multiples pour faire passer le héros au charisme de gastéropode pour un badass décontracté, et même un premier petit coup de gros rap qui tache, histoire de s’auto-mutiler sur ses points forts…

Heureusement, l’intérêt se réveille à la plantation, avec un Leo en grande forme. Ce n’est pas souvent que je l’apprécie, alors autant de ne pas bouder mon plaisir, j’ai beaucoup aimé sa savoureuse composition de riche propriétaire sudiste phrénologue à ses heures perdues... Je ne cesse de répéter que le pauvre se fourvoie trop souvent à la recherche de rôles sérieux dépassant ses capacités alors que c’est dans la légèreté (Attrape-moi si tu peux) ou la jubilation, comme ici, qu’il montre réellement l’étendue de son talent. La preuve, ses deux ou trois accès de colère sont aussi ratés que superfétatoires, mais restent avantageusement limités dans le temps.

Et puis, à ce moment là, Quentin a fini de monter son beau jouet, il n’a pas trop fait de bêtises, on lui pardonne ses effets faciles à base de ralentis et de zooms intempestifs, tout comme les innombrables clins d’oeil appuyés, hommage oblige, et on se dit qu’avec deux grains de plomb dans la cervelle, il est bien capable d’enfin réussir à nouveau un film.

On se dit ça sans vraiment y croire, bien sûr, parce que ce qu’on prévoit de pire arrive tout de même, Quentin prend son marteau et massacre joyeusement son beau jouet pour le plus grand plaisir du spectateur adolescent et pour les regrets de ceux qui attendaient peut-être un peu trop de lui.

Alors à ce moment là, les deux grains de plomb se fichent dans la mauvaise cervelle. Dans une gratuité scénaristique embarrassante, Christoph joue au mauvais perdant sans plus de raison et massacre de son côté tout le bel édifice qu’il a construit.

Le reste ne m’intéressera plus mais sera aussi grotesque que prévu, comme un mauvais spaghetti qui tache, mais sans l’excuse de l’innocence d’alors, avec juste la bêtise d’un enfant trop content de lui-même qui ne sait plus trop jusqu’où il peut aller pour être « fun » et suivi en cela par sa cohorte d’admirateurs habituels tout aussi incapables que lui de se rendre compte quand la limite de la laideur ou de l’ignominie est franchie.

Avec ça, un Jamie Foxx qui ne sait décidément ni jouer ni exister durablement et qui se contente de faire la gueule avec un regard noir en espérant que ça fasse miraculeusement de lui un vengeur charismatique…

Django dans son ensemble traite de la traite des noirs avec toute la subtilité d’un film de ce petit jaloux de Spike Lee, c’est dire s’il va plaire et flatter misérablement les instincts les plus répugnants d’une partie du public. Pour ma part, je vais essayer de m’efforcer d’oublier que Quentin n’a toujours pas compris qu’il n’avait ni les connaissances ni la finesse pour s’attaquer à des sujets même vaguement historiques sans se casser les dents à un moment et à un autre et je vais essayer de me souvenir de cette première partie qui semble pourtant si loin.

Une partie dans la neige avec un chasseur de primes chafouin à la faconde un peu précieuse mais toujours joviale, un bivouac comme il en faut avec des histoires au coin du feu et des fayots qui mijotent, une leçon pratique permettant de différencier un shérif et un marshal, un saloon où l’on doit se servir soi-même et une jolie roulotte de dentiste avec une dent qui tremble.

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le 22 janv. 2013

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Torpenn

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