Son premier film J'ai tué ma mère était brillant, mais il y avait déjà les germes potentiels d'un cauchemar tel que ces Amours Imaginaires. Le second film de Xavier Dolan entretient tous les petits tics déjà ressentis, d'ado narcissique et surdoué, mais aussi de poseur lourdaud enfanté par les plus ardants blaireaux du café de Flore et les intellos policés radotant Camus tout le long de leurs bourgeoises et insipides journées. Si on y est allergique, Les Amours Imaginaires envoie une cohorte de signaux négatifs, la présence de Louis Garrel en guest étant l'objectivisation finale.
Deux amis, Marie et Francis, aiment le même type, un échalas angélique blond et bouclé crétin et vide. Ils vont interpréter tous ses gestes, transis devant ce mec fadasse mais solaire, laissant éclater leurs carapaces grandiloquentes. C'est parti pour 100 minutes de minaudages, de moues perplexes ou de circonstance, de petits gestes hautains maquillant les blessures assassines. C'est un peu comme dans les Chansons d'amour d'Honoré (avec son breton tendre et sauvage), mais en admettant la frustration, en singeant la réalité avec ces désirs grotesques, en contrariant les caprices et s'infligeant des mandales (la pointe de causticité, dont Francis est la première cible, rend la chose plus digeste, presque entraînante pour quelques instants), tout en se laissant toujours une porte ouverte vers l'accomplissement.
On parle culture, on se touche du bout des doigts avant de forniquer avec délicatesse mais en enfiévrant le contexte, on s'applique à être une créature de carte postale du parisianisme romantique tel qu'il est perçu partout dans le monde. D'ailleurs ils le disent eux-mêmes : au lit avec Marie avant d'enchaîner sur l'étreinte (il lui demande au passage si elle est « en amour »), son partenaire s'interroge : Marie, penses-tu à des vedettes de cinéma lorsque tu fait l'amour ? Les Amours Imaginaires contient des répliques fines, des analyses éclairs pas aberrantes mais rebattues sur les amoureux de l'amour et les érotomanes ordinaires [sublimés]. Mais l'agitation intense caractérisant J'ai tué ma mère ou Laurence Anyways n'est pas de mise ici.
Dolan livre au contraire un produit strictement hype, ultra soigneux, cultivant une esthétique d'urbains vintage et délicats, de mondains bavards et d'étudiants ronflants à la conscience servile. C'est tellement exaspérant que l'énergie habituelle à s'enflammer se démobilise ; autant attendre, ça passera, c'est réglé, c'est foutu, inutile de se battre ou de se réjouir en adoptant une approche sarcastique. Toutefois, le rire survient inévitablement, sur la fin en tout cas, passés les soupirs et la douleur. Face à cette sensiblerie extrême, on part nécessairement vers la stase ou le rejet, presque organique. L'argument du « chacun ses goûts » vaut pour le coup, car ce film a le mérite de la radicalité et est en mesure de plonger dans l'extase une cible définie, tout comme d'horripiler à un degré rare ceux qui s'en écartent trop.
Les Amours Imaginaires n'est donc pas intrinsèquement un échec total : oui, mais la nature du délire n'est pas le seul problème. Le manque de substance plombe le film, ses témoignages sont dérisoires, servant sa démarche de wannabee Jules et Jim (eux étaient plus simples et lucides, même avant de mûrir), de wannabee en effet (Truffaut a eu la chance de passer avant tous ses héritiers). Et si Dolan est passionnant et exaspérant d'une seconde à l'autre voire en même temps, il ne l'est ici qu'en tant qu'acteur, en tout cas pendant un certain temps. Le film s'effondre sur la fin, avec les mises au point. Au terme de la descente, une dernière séquence d'une laideur médusante. Au moins, Les Amours Imaginaires incarne quelque chose à la perfection : la chronique de petite chose protégée à la sexualité indéterminée, aux manières doucereuses et aux goûts 'raffinés' (au sens bobo lisse du terme), peuplée d'aspirants intellos sartriens et d'imitations de stars glamour et se branlant encore sur Pierrot le fou.
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