Pour aimer "Les Amours imaginaires", je pense qu'il ne faut pas avoir peur du ridicule. Ce ridicule adolescent, que je connais à la perfection, mieux que moi-même, qui a été mon grand ami et que j'ai laissé un jour sur le seuil de ma porte, sans toutefois la fermer complètement : le ridicule de croire sa vie digne d'un roman, d'imaginer la transcription cinématographique des instants vécus, de théâtraliser les situations les plus banales et les plus dérisoires. Le ridicule de se croire le centre de l'univers, la source et l'aboutissement de toutes les douleurs, le pionnier de sentiments nouveaux et inconnus de tous. Ce ridicule d'une fragilité d'oiseau, qu'une étincelle de bon sens brise dans un grand fracas de miroir. J'aime "Les Amours imaginaires", parce qu'elles m'évoquent des souvenirs, me rappellent un temps où j'étais autre, un temps pas si lointain où je m'étais promis de ne jamais changer car je me croyais unique - naïveté suprême.

Peut-être cette fascination narcissique envers soi-même est-elle nécessaire pour adorer ce film. Plus encore qu'être gay et avoir expérimenté le rejet par un hétéro trop beau et trop pervers, même si ça aide énormément, je suppose... L'homosexualité, extraordinairement esthétisée, loin des clichés de la grande folle ou des cow-boys propres sur eux tourmentés par leur vice, assure à Dolan un public conquis d'avance, composé d'invertis moyens, amateurs de belles choses et se croyant d'un goût très sûr, ayant eu à subir les affres de l'orientation sexuelle contrariante de leurs crushs lycéens. Dieux que j'ai pu souffrir, à seize ans, et dieux que je me rends compte aujourd'hui que cette souffrance était minuscule, banale.

Convoquant mille références - volontairement ? - le film évoque surtout "In the Mood for Love", même si le climat montréalais se prête nettement moins à l'exotisme que les pluies tièdes de Hong Kong. Aime-t-on vraiment, plus qu'un être de chair et de sang, l'idée qu'on a de cet être ? La belle affaire. Aime-t-on moins quand on connaît mieux ? Y a-t-il, au fond du désir même, une forme d'amour ? Proust ayant répondu mille fois à ces questions cruciales, il reste, pour ceux qui n'ont pas eu le courage et l'intelligence de le lire, ces témoignages entrecoupant le film, d'un ton plutôt juste et d'un grand à-propos, variations autour du thème de la contrariété sentimentale et de la complexitude d'aimer - chose pourtant plutôt simple, quand on y pense.

En définitive, ce qui sauve le film et coupe court aux critiques les plus violentes, c'est la belle ironie qui lui sert de conclusion : il suffit de Louis Garrel dans un coin sombre pour que le livre d'histoire sur l'étagère se répète et que des petites barres supplémentaires viennent noircir un vilain mur de salle de bain. Par là même, par cette esquisse du cycle perpétuel des désillusions, la banalisation de la douleur est entraperçue, l'âge de raison se lève à l'horizon et, avec lui, l'espoir des amours véritables.
Anonymus
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le 15 juin 2012

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Anonymus

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