San Francisco, près de Chinatown. Une journée banale, de grands buildings, la grisaille. Soudain, une intense lumière verte émane, accompagnée d’un énorme fracas. Alors que tout semblait normal, quelle est donc cette étrange sorcellerie qui se manifeste ? D’aucuns racontent qu’un camionneur un peu beauf et extravagant, nommé Jack Burton, était dans les parages à ce moment. Ces péripéties ont été rapportées sous le nom des Aventures de Jack Burton dans les griffes du Mandarin, que l’on appellera ici, pour des raisons assez évidentes, juste « Jack Burton » .
J’ai pris l’habitude, au fil de mes découvertes du cinéma de John Carpenter, de regarder ses films à travers le prisme d’une certaine misanthropie, d’une remise en question de la société et de l’humanité en exposant ses faiblesses et ses travers. « Big John » l’a fait de plusieurs manières, dans l’horreur de The Thing, la folie de Christine ou, de manière plus positive, dans la mélancolie de Starman. J’avais toujours plus ou moins clairement ressenti la présence de ces thématiques dans les scénarios de Carpenter, mais s’il y a bien un film qui semble s’en détacher et qui a une place à part dans sa filmographie, c’est bien Jack Burton. Car s’il ne fait absolument aucun doute que le film porte la marque de son réalisateur, on est cette fois davantage dans une introspection de son propre cinéma, mais aussi un discours plus général sur le cinéma dans son ensemble, ce qui n’est, finalement, pas si surprenant que cela de la part de « Big John », qui se fait largement plaisir ici.
Il faut le dire, John Carpenter et les studios ne se sont pas toujours (pour ne pas dire jamais) vraiment entendus. Quand on est un artiste habitué à écrire, filmer et composer pour ses propres films, il semble difficile d’apprécier se voir dicter des directives par des personnes assez éloignées de la sphère artistique. Et c’est probablement une des raisons pour lesquelles John Carpenter semble autant se lâcher avec Jack Burton. Ironie, c’est en ayant plus de moyens que jamais qu’il va réaliser ce gros pied de nez au cinéma à gros budget. Jack Burton est, en quelque sorte, le plus « bis » des blockbusters, le Carpenter le plus inattendu, celui qui diverge le plus du Carpenter « traditionnel ». Bigarré, explosif, fantastique, bagarreur, musclé, c’est un film d’aventure dans la pure veine des 80s, un film « pop » à souhait.
Gros clins d’oeil au cinéma hongkongais et aux films d’arts martiaux, moquerie des gros films d’aventure américains, Jack Burton est dans la parodie, l’hommage et la dérision. Il est à voir au second degré avant tout, ne se prenant lui-même pas au sérieux, avec ses répliques inattendues, ses personnages stéréotypés avec lesquels le cinéaste n’hésite pas à insister, le tout en prenant le contre-pied de ce que les grands studios feraient. Si un héros comme Indiana Jones peut faire preuve d’humour et de détachement, Jack Burton est souvent ridiculisé par Carpenter, ce qui le rend plus brave qu’héroïque. D’ailleurs, pour le rôle principal, Carpenter a fait appel à son ami Kurt Russell, qu’il avait révélé avec Book of Elvis et auquel il avait associé le personnage culte et badass de Snake Plissken dans New York 1997. Ici, il prend un malin plaisir à désacraliser le héros qu’il avait façonné, comme une volonté de se moquer de lui-même mais, aussi, d’anticiper les effets néfastes que l’influence de majors auraient pu avoir sur ses films si elles avaient participé à leur production, ou si elles les avaient exploités à des fins commerciales.
Avec Jack Burton, John Carpenter pastiche les 80s alors qu’on est encore en plein milieu des 80s. Une nouvelle preuve que « Big John » avait toujours un coup d’avance. Evidemment, le public ne le lui rendra pas et il se prendra une vilaine claque qui l’obligera à de nouveau devoir se débrouiller tout seul. Peut-être était-ce mieux ainsi ? Mais si Jack Burton est un film à part dans la filmographie de John Carpenter, il est intéressant de constater une certaine continuité avec son film suivant, le futur Prince des Ténèbres, avec cette opposition entre forces du Bien et du Mal, parfois irrationnelles, et le retour de Victor Wong, qui passe de sorcier à professeur de physique quantique. Encore un clin d’oeil ? En tout cas, Jack Burton demeure un divertissement bigarré et explosif qui se regarde avec plaisir, avec un Kurt Russell décomplexé, et, une nouvelle fois, l’illustration de l’imagination prolifique de John Carpenter. « I was born ready ! »