Que dire d'un film dont tout a déjà été dit ? Que dire d'un film qui vous a profondément traumatisé au point de ne plus s'immerger dans l'océan au-delà de la taille ? Que dire d'un film qui a bercé votre enfance et qui trône en deuxième position parmi vos long-métrages préférés ? Tenter d'être objectif ? Même en l'étant, j'en viens toujours à la même conclusion. "Les dents de la mer" (superbe traduction française du "Jaws" original) est un chef-d'oeuvre. Tout simplement. Il fait parti de ces oeuvres du Nouvel Hollywood ayant trouvé les ressources en elles pour braver toute les tempêtes et atterrir à bon port.
Confiée à un jeune Spielberg ayant convaincu la Universal, grâce à son expérience à la télévision et à un premier film déjà remarquable, de lui laisser les rênes de leur grand film de l'été, cette adaptation du best-seller de Peter Benchley avait tout pour n'être qu'une série B de luxe de plus, comme il en pleuvait à l'époque et encore aujourd'hui. Sauf que voilà, le destin en a décidé autrement. Il a décidé que le tournage serait un véritable bordel, un enfer logistique, poussant son jeune cinéaste et son équipe à faire preuve d'imagination, d'adaptation et surtout à se démerder avec les moyens du bord. Profitant de l'incapacité de son requin à fonctionner correctement, Spielberg va pousser ses comédiens à approfondir leurs personnages, accouchant ainsi d'une première partie incroyablement vivante, proche de la comédie de moeurs, où chaque acteur à l'occasion de briller, notamment un Roy Scheider inoubliable. Surtout, Spielberg va construire un suspense implacable et d'une intelligence redoutable, digne d'un Hitchckock, laissant son requin vedette dans l'ombre la majeure partie du temps, jouant sur une suggestion bien plus stressante que toute l'hémoglobine du monde.
Puis, à mi-parcours, le metteur en scène lâche son trio de stars à l'aventure (Scheider, bien évidemment, mais aussi Robert Shaw et Richard Dreyfuss, tous deux sensationnels), son film basculant alors dans une relecture moderne de "Moby Dick", aussi palpitante que terrifiante, où ses trois personnages peuvent être vu comme les facettes d'un même Capitaine Achab, condamné à pourchasser éternellement cette fichue baleine. Grâce à une mise en scène pertinente, à une caractérisation exemplaire, à des comédiens inoubliables, à la superbe musique de John Williams, à une créature de cauchemar surgissant des flots et à bien d'autres choses encore, "Les dents de la mer" connaîtra un succès sans précédents, traumatisant des générations de spectateurs et surtout, restera à jamais gravé dans ma mémoire, dans mon coeur, dans mes tripes. Pas mal pour une simple série B estivale.