Children of Men, d’Alfonso Cuarón (Gravity, 2013, Roma, 2018) est un film d’anticipation qui raconte, dans un monde n’ayant pas connu de naissance depuis près de 20 ans, la fuite en avant d’une jeune femme miraculeusement enceinte.
Au niveau du contexte, Children of Men fait penser à V pour Vendetta —une Angleterre totalitaire et isolationniste dans un monde à feu et à sang dans un futur proche—. La comparaison est d’autant plus pertinente que ce sont deux films sortis la même années (2006), et de budgets similaires. D'ailleurs, le film de Cuarón est surprenamment le plus cher des deux (73 millions de dollars contre 54), et ne rentrera pas dans ses frais à 3 millions près. Mais si V pour Vendetta est un (bon) blockbuster à grand spectacle très stylisé, Alfonso Cuarón adopte une approche radicalement différente.
Le style est très réaliste, presque documentaire : éclairage naturel, caméra épaule (et parfois même tachée), longs plans naturels et un format certes classique de 1.85:1, mais à comparer avec le plus épique 2.39:1 de V pour Vendetta. Sans compter, bien sûr, de bonnes performances d’acteurs tous dans la retenue. La seule entorse récurrente est le son, avec notamment une musique souvent extradiégétique. Mais attention, cela ne signifie pas que Cuarón filme bêtement ce qui lui tombe sous la main. On a parfois de belles composition, comme Kee (Claire-Hope Ashitey) chantant derrière les vitres brisées de l’école, et quelques plans séquences très bien fichus, dont un magistral de près de 6min30 lors de l’attaque dans le camp de réfugiés.
Ce choix de réalisation est très intelligent, car, en plus de renforcer notre empathie pour les personnages, il correspond parfaitement à l’anticipation très discrète que nous propose Cuarón. Un HUD sur une voiture par-ci, un écran géant par-là, mais jamais rien sur lequel le réalisateur s’attarde tellement c’est intégré à l'univers, comme personne ne s’attarderait sur un grille-pain. Même la nature de cette fin du monde est la moins spectaculaire possible !
L’écriture du film, adapté de la nouvelle homonyme par Cuarón et quatre autres scénaristes, est très réussie. En particulier, je trouve, dans la gestion de l’information. Dans la plupart des films de science fiction, on a un premier acte d’exposition. Ici, on apprend la condition de Kee alors que le voyage est déjà bien entamé. On attend la moitié du film pour nous expliquer le passé de Theo (Clive Owen), les deux tiers pour raconter le déroulement de cette apocalypse silencieuse, et les trois quarts pour remettre en question le bien fondé de leur mission.
Les deux thèmes principaux sont l’espoir —de manière assez évidente— mais surtout l’opposition entre la foi/destinée et le hasard. De manière assez intelligente, le film laisse la porte ouverte aux interprétations. On ne sait pas si l’infertilité, et la grossesse de Kee, sont le résultat d’un châtiment divin ou d’une quelconque blague cosmique. En tout cas, elles déclenchent les ferveurs religieuses des sectes et des révolutionnaires —et même de l’armée à la fin—. À l’inverse, Theo est un homme désabusé, qui a perdu ses idéaux à la suite de la mort de son fils, due au hasard, avant de retrouver une raison de “croire”, ou d’espérer, grâce à Kee.
Bref, Children of Men est un film d’anticipation intelligemment écrit, joué et réalisé. Que demander de plus ?
Rien n'est plus lent que la véritable naissance d'un homme — Marguerite Yourcenar
(Elle est pas belle ma culture ? J'ai tapé "citation naissance" sur internet. C'est beau la technologie.)