Les gangsters ont toujours été des personnages fascinants. A la fois craints et admirés, ils ont toujours eu une place particulière dans l’imaginaire commun, et l’histoire du cinéma en est d’ailleurs témoin. En effet, nombre de films de gangsters ont su devenir des classiques, comme Les Affranchis (1990) de Martin Scorsese, Scarface (1983) de Brian de Palma ou encore Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola. Mais, auparavant, il y a eu les grands films noirs des années 1940 et 1950, et les grands rôles de James Cagney dans L’Ennemi Public (1931) et L’Enfer est à Lui (1949) ou encore Edward G. Robinson dans Le Petit César (1931). Autant de dates toujours plus lointaines qui montrent à quel point les gangsters ont marqué le cinéma depuis ses débuts, y compris à l’ère du muet, et notamment en 1927 où Joseph von Sternberg donna naissance à l’un des films fondateurs en la matière : Les Nuits de Chicago.


Encore en pleine époque de la Prohibition, pas encore sous le joug du Code Hays, Les Nuits de Chicago s’inscrit dans un contexte particulier, en étant un film qui se différencie de ses successeurs notamment par le fait qu’il s’agit d’un témoin « vivant » de cette époque où la pègre était toute-puissante dans les bas-fonds des grandes villes et dans les speakeasy. Dans Les Nuits de Chicago, c’est toute l’effervescence des années 20 qui s’anime, à travers les soirées dansantes organisées dans de grands établissements, et l’exubérance des magnats de la pègre. Ces derniers ne sont d’ailleurs pas montrés comme des individus forcément foncièrement dangereux ni malfaisants, notamment à travers le traitement du personnage de Rolls Royce, sauvé de la misère et de la rue par l’un d’entre eux, Bull, joué par George Bancroft. A travers ce personnage se développe l’image du gangster élégant qui va perdurer dans nombre de films du genre par la suite.


Le film exploite d’ailleurs de nombreux codes qui vont devenir des règles absolues du film de gangsters. L’exploration de rues sombres, l’ambivalence, la quête de la femme inaccessible, les trahisons, les combines… Les Nuits de Chicago offre au spectateur le tableau des coulisses d’une société nocturne où la caméra se faufile et se déplace avec une agilité assez rare pour l’époque. En effet, si le cinéma avait déjà bien évolué à l’époque, le film de Joseph von Sternberg se permet d’être très moderne sur la forme, tout en gardant le charme de l’ancien. Le flou et les jeux de lumière donnent lieu à de superbes plans qui magnifient ce film à l’esthétique remarquable.


Par ailleurs, le film se pare d’une distribution marquante, avec, entre autres, un trio de personnages très évocateur, entre le gangster tantôt bienfaiteur, tantôt violent, la femme incomprise et indécise, et le personnage principal, loyal avant tout mais ballotté entre les deux autres. Dans le jeu des acteurs, Les Nuits de Chicago oscille également entre la modernité et les canons du cinéma muet. Parfois volontairement exagéré, parfois plus en nuances, il s’inscrit dans cette transition qui s’opère à l’époque entre le cinéma muet et le cinéma Pré-Code du début des années 1930. Visuellement très caractéristique du cinéma des années 20, il n’hésite cependant pas à devenir frénétique, à faire couler du sang, ou à dénuder une épaule.


Oublié du grand public, Les Nuits de Chicago est probablement l’un des films les plus influents de l’histoire du cinéma, et son aura plane sur de nombreux classiques, cités auparavant. S’il n’est pas le premier film de gangsters, loin de là, il développe les codes qui vont devenir les standards absolus du genre, et 90 ans après, il se regarde toujours avec plaisir et admiration.

JKDZ29
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le 5 janv. 2018

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