Les cinq témoins du film sont ceux de la découverte du Sida en 1984-1985. Ce 17e opus de Téchiné n'est pas un film choral conventionnel, ou une petite livraison à thèse ; en même temps, il reste prompt à honorer sa fonction de produit sur « les années sida », bon pour les soirées à thème du service public. Passionné mais abordable, Les Témoins est une alternative efficace aux films 'phares' sur le sujet : au mélodrame lisse Philadelphia comme aux Nuits fauves françaises ; celui-là était trop marqué et tapageur pour rester largement présentable ou même devenir un étendard bobo conquérant. En France il y eu peu d'autres essais : Merci la vie de Bertrand Blier (avec Blanc également), N'oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois, assistant de Téchiné dans 1990s (qui joue ici l'éditeur de Sarah/Béart).
Les Témoins est nerveux, sans place pour les caprices ; il n'est pas de ces films donnant à chacun sa scène pour briller. Le spectateur ne plonge pas dans l'intimité 'pure' et détachée de l'un ou l'autre, il suit plutôt les liens entre eux ; comme toujours Téchiné mise sur les échos contradictoires, pousse ses personnages à des prises de conscience intenses et rapides. Autour de Manu (le gamin ébloui et huileux – par Johan Libéreau, remarqué dans Douches froides de Cordier/2005), Sarah, Mehdi, Adrien et Julie sont confrontés à la perspective d'un bonheur finissant. Manu emporte avec lui des souvenirs, des repères et des espoirs. Cette disparition coïncide avec l'envol professionnel de Julie, qui aura bientôt liquidé tout ce qui gardait son passé vivant. Manu apparaît comme un enfant sacrifié, au bénéfice d'adultes manquant d'unité – et jusqu'ici du déclic nécessaire pour mûrir, considérer les limites et concevoir la fragilité des acquis.
Les protagonistes sont parfois mal-aimables ; Sarah en particulier (Béart, pour la troisième fois sous la direction de Téchiné - après J'embrasse pas et Les Égarés), peut-être censée paraître complexe et ironique, flirte trop près de l'exécrable (happy few vaniteuse, irresponsable et pleine de prétentions adulescentes, dont les loisirs deviennent un métier voire un substitut de vocation). Lui confier le rôle de narratrice est donc une idée saugrenue, surtout que ses talents dans le domaine laissent à désirer (banalités enrobées dans du lyrisme pataud). Les fans de l'actrice et surtout de son corps seront cependant ravis ; sur ce terrain la générosité des Témoins fait tomber en désuétude le souvenir des Égarés. Les amants, par Blanc et Bouajila, sont de loin les caractères les plus riches et estimables. Julie par la fille Depardieu a un mode d'affirmation fébrile et semble représenter une fonction davantage qu'un personnage plein.
La mise en scène était assez douce, ou 'discrète', sur les derniers opus (Ma saison préférée, Les Égarés, Les temps qui changent) ; ici elle apparaît plus criarde. La bande-son est virulente, les couleurs sont bizarrement pétantes (photo de Julien Hirsch). L'atmosphère générale est solaire et crépusculaire, l'expression assertive et candide (certains aperçus, les sentences des médecins). Téchiné montre les crispations de la société et surtout celles des autorités policières ; les orientations ou préférences sociales sont transparentes tout le long du film, sans être obscènes. Pour Téchiné, c'est le dernier opus à provoquer de vifs enthousiasmes et les acclamations unanimes de la critique. Suivront La fille du RER (adapté d'un fait divers), Impardonnables, L'Homme qu'on aimait trop (avec Deneuve).
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