En regardant les photos de « promo » on pouvait imaginer « Les témoins » comme un petit drame doux amer dont seul Téchiné a le secret. Il en est tout autrement. Il apparaît comme le reflet exhaustif d’une partie de notre histoire.
Une histoire si proche et qui semble si éloignée en même temps, celle de l’arrivée du sida en France au début des années 80, véritable tsunami qui est venu ravager la société d’alors provoquant drames et paranoïa. Trois actes lui suffisent pour reconstituer cette période troublée : un avant insouciant, un pendant désespéré et un après où l’on fait avec mais où la vie reprend le dessus.
Ses témoins gravitent tous autour de Manu, jeune savoyard venu vivre son homosexualité à Paris. Du médecin quinqua amoureux transi et platonique (Michel Blanc bouleversant), à la sœur très provinciale et artiste lyrique un peu gauche (Julie Depardieu attendrissante), de l’amie très impliquée (Emmanuelle Béart radieuse) dont l’époux Mehdi (ahurissant Sami Bouajila), flic et beur brûlera d’une passion clandestine avec lui. Un quintet hors pair représentatif des comportements d’alors, brossés avec beaucoup de retenue et de justesse.
Et s’il est un témoin privilégié, c’est André Téchiné lui-même. Plus que dans n’importe quel de ses films, ici il semble se lâcher, se livrer enfin. Il est celui qui a vécu cette période où pour le moins qui y a assisté. Il est un survivant, par chance ou simplement parce qu’il n’a jamais osé être comme l’intense Manu. Par la profondeur du personnage, il semble qu’il se rapproche plus d’Adrien, le médecin homo presque refoulé qui analyse et subit plus qu’il ne s’implique. Adrien qui culpabilise de vivre là où tant d’autres sont partis.
Et des regrets on en trouve bien d’autres dans ce film. La violence contenue qui frappe à chaque plan est au service du récit particulièrement bien construit. Elle participe à l’évidente et latente frustration de chacun des protagonistes à dénier lâchement. Adrien comme on vient de le voir, mais aussi Manu, l’ange foudroyé qui ne voulait pas consommer sa vie si vite et qui tentera de raconter un passé pauvre à défaut d’un avenir plein de promesses. Mehdi, caricature du flic viril et macho dont les larmes viendront trahir le colosse et Sarah, femme et écrivaine vampire qui observe sans parti pris et pille dans la vie des autres.
André Téchiné impose un rythme enfiévré accentué par des airs d’opéra et la partition nerveuse de Philippe Sarde qui rappelle celle des « Choses de la vie ». La reconstitution est exemplaire, du moindre cadrage très eighties jusqu’au moindre accessoire.
Il signe là son film le plus beau, le plus cruellement intense et désespéré depuis « Hôtel des Amériques ».