La réserve indienne est déjà en soi un paradoxe fertile : lieu à ciel ouvert, étendue préservée, elle se veut comme une enclave dans la conquête sauvage du territoire américain par les colons. On y perpétue une tradition, l’homme blanc n’intervient pas.


Le 1er film de Chloé Zhao y propose une immersion qui en révèle pourtant des facettes exactement opposées : une prison dont l’horizon à perte de vue symbolise surtout l’absence de perspective, la déshérence d’une ethnie livrée à elle-même, hors du monde, et reproduisant de l’extérieur tout ce qu’il a de plus déclassé.


La quête, dès lors, reproduit cette ambivalence : il s’agit de partir, quitte à renier les siens, ses origines et son identité. Mais qu’en reste-t-il ? Un champ de ruine. Le récit, ténu, s’attache principalement à dresser cet état des lieux désespéré.


Les personnages, voués à une passivité presque morbide, s’enlisent dans l’alcool et l’ennui au sein de structures qui n’ont rien à envier à un bidonville. La dimension documentaire est assumée : Zhao prend le tempo du désœuvrement, conte la triste ritournelle de ceux qu’on a oubliés, en y incluant tout de même la tonalité propre à une culture : les costumes, le rapport aux bêtes (chevaux, taureaux), une certaine connexion au paysage irriguent ainsi le regard voilé des natifs. C’est là la touche indé du film, brandie par moments de façon un peu insistante (caméra portée dans les hautes herbes, jeux excessifs des contre-jours ou des lumières laiteuses, suspens poétiques et musicaux), mais qui n’édulcore pas pour autant ce que les personnages peuvent avoir de touchant.


Cette alliance de folklore et de crépuscule social, de désir de fuite et de prise de conscience de ses racines explique le sentiment de sur-place qui affleure souvent. Mais en refusant la carte postale exotique d’une culture, Chloé Zhao dépasse le divertissement touristique pour atteindre une vérité désenchantée des êtres.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 17 mai 2017

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