Welles entretient avec Shakespeare une relation au long cours, qui remonte bien avant ses débuts derrière la caméra. Dès l’adolescence, il adapte ses pièces au lycée et propose un guide pour le mettre en scène. Homme de théâtre, puis de radio, Welles a toujours accompagné ce modèle incontournable, fasciné par le bruit et la fureur qui émane de sa monstrueuse comédie humaine.
Le tournage de Macbeth se fait à un rythme démentiel : bouclé en 21 jours, Welles dormant deux heures par nuit, il reflète bien les méthodes de travail de son créateur, boulimique est insatiable, sans cesse sur plusieurs projets simultanés.
Le résultat est déconcertant, et sera, une fois encore, très mal accueilli. Welles opte pour un film qui s’assume totalement comme une adaptation. L’aspect théâtral des décors peints ou en rochers peints, les costumes expressionnistes (dont des couronnes presque grotesque, l’une évoquant la statue de la liberté…) et la langue caverneuse accentuée par l’accent écossais favorisent une certaine distanciation, et la prise en compte de caractère légendaire, voire primal du texte adapté.
Car Welles ne s’en cache pas : il souhaite extraire de sa pièce toute la barbarie et l’animalité qu’elle dépeint chez l’homme. Cette imagerie presque médiévale renvoie à ce qu’on pourra trouver dans Le Septième sceau de Bergman, une autre fable fondatrice sur les grandes questions humaines. Ici, l’artificialité des décors, la solennité de la diction et l’hiératisme généralisé sont autant de signes pour évoquer l’écrasement des individus face à des enjeux qui les dépassent : les prophéties, le pouvoir, la convoitise et la paranoïa de ceux qui veulent conserver ce qu’ils ont acquis de manière indue.
L’expérience est éprouvante, comme l’est le parcours du héros éponyme : à l’inverse de Sir Laurence Olivier, qui présentait la même année, au festival de Venise, son Macbeth, Welles ne fait pas dans l’admiration littéraire. L’hystérie croissante des personnages, les séquences presque hallucinatoires des sorcières donnent à voir un monde figé et angoissant. Il y manque peut-être tout de même cette incarnation des êtres, cette chair individuelle qui donnerait à ce souffle glacial des tonalités plus individuelles : il faudra attendre Othello pour que s’exprime toute cette ampleur, ou, sur ce même titre, qu’un japonais s’en empare, en la personne de Kurosawa et de son noir et mirifique Château de l’araignée.
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